Pendant la pandémie de Covid-19, des variations cliniques ont été observées parmi les personnes infectées par le SARS-CoV-2, allant de cas asymptomatiques jusqu’à des cas mortels. Les chercheuses et chercheurs de l’Institut Pasteur, du CNRS et du Collège de France, en collaboration avec des chercheurs à travers le monde1, se sont intéressés aux facteurs à l’origine de la diversité des réponses immunitaires face au SARS-CoV-2, parmi les populations d’Afrique centrale, d’Europe de l’Ouest et d’Asie de l’Est. Ils montrent que l’infection préalable au cytomégalovirus, et la diversité génétique humaine induite par la sélection naturelle influencent la réponse immunitaire au SARS-CoV-2, ainsi que la sévérité de la Covid-19. Comprendre les causes de ces différentes réponses pourrait avoir des applications dans la prise en charge des patients lors de futures épidémies. Ces résultats sont publiés le 9 août 2023 dans la revue Nature.
L’unité de Génétique évolutive humaine2 à l’Institut Pasteur, dirigée par Lluis Quintana-Murci, s’intéresse aux différences entre populations face aux infections. Ces différences peuvent être dues à l’environnement ou à des histoires distinctes qui ont façonné la diversité génétique des populations, notamment par le biais de la sélection naturelle. Dans cette étude publiée dans la revue Nature, les scientifiques ont cherché les causes de la pluralité des réponses au virus SARS-CoV-2 en fonction de l’origine géographique, ethnique, et génétique des populations.
Lors de la pandémie de Covid-19, le virus SARS-CoV-2 a été responsable de symptômes variés, allant de l’absence de manifestation jusqu’à la mort. Bien que l'âge avancé reste un facteur de risque principal, le sexe masculin, les comorbidités et divers facteurs génétiques et immunologiques humains contribuent également à la sévérité de la maladie. Pour étudier les variations des réponses immunitaires au SARS-CoV-2 dans différentes populations, les scientifiques ont exposé au virus des cellules sanguines immunitaires obtenues à partir de 222 donneurs sains d'Afrique centrale, d'Europe de l'Ouest et d'Asie de l'Est.
Grâce au séquençage de l’ARN de cellules uniques, les réponses au SARS-CoV-2 de 22 types de cellules sanguines ont été analysées. Ces données ont été intégrées aux informations sérologiques et génétiques recueillies auprès des mêmes individus. Cette approche a permis d'évaluer l'étendue des disparités selon les populations quant à leurs réponses immunitaires au SARS-CoV-2 et d'identifier les facteurs contributifs.
Les scientifiques ont identifié environ 900 gènes dont l’expression en réponse au SARS-CoV-2 diffère entre les populations. Grâce à des analyses de génétique statistique, ils montrent que ces variations sont principalement dues à la composition cellulaire du sang : les proportions entre les types cellulaires sont différentes selon les populations. Et on sait que ces proportions sont influencées par des facteurs environnementaux tels que l'exposition au cytomégalovirus (une infection humaine de la famille des herpès, la plupart du temps inoffensive). En effet, 99 % de la population d’Afrique centrale est séropositive pour le cytomégalovirus, alors que seuls 50 % de la population d’Asie de l’Est et 32 % des Européens le sont. Ainsi, l’équipe de recherche a pu constater que l’environnement d’un individu et son infection latente par le cytomégalovirus vont influencer la réponse des cellules immunitaires au SARS-CoV-2.
En outre, les scientifiques ont identifié environ 1200 gènes humains dont l’expression en réponse au SARS-CoV-2 est contrôlée par la génétique des individus. Pour une partie de ces gènes, la fréquence des allèles3 qui les régulent varie entre les populations étudiées. Par des approches de génétique des populations, les scientifiques ont pu mettre en évidence des événements de sélection récurrents sur les gènes impliqués dans la régulation des réponses antivirales. « On sait que les agents infectieux ont eu un fort impact sur la survie humaine, et ont exercé des pressions de sélection qui ont façonné la variabilité génétique des populations. Nous avons ainsi pu constater que la sélection naturelle a influencé les réponses immunitaires actuelles au SARS-CoV-2, en particulier chez les personnes d'origine est-asiatique, où les coronavirus ont engendré de fortes pressions de sélection il y a environ 25 000 ans », explique Maxime Rotival, chercheur au sein de l’unité de Génétique évolutive humaine à l’Institut Pasteur, auteur co-principal de l’étude.
Entre 1,5 et 2 % des gènes des Européens et des Asiatiques sont issus de Néandertal. Il existe de plus en plus de preuves établissant un lien entre cet héritage génétique et l'immunité des populations actuelles. Grâce à la comparaison entre les 1200 gènes identifiés et le génome issu de Néandertal, les scientifiques ont découvert des dizaines de gènes qui altèrent des mécanismes antiviraux résultant d'anciens croisements entre les Néandertaliens et les humains modernes (Homo sapiens). « De précédentes études ont montré le lien entre certains des gènes identifiés dans notre étude et la gravité de la Covid-19. Cette étude inclusive et diverse met ainsi en évidence l'impact direct des variants génétiques influençant les réponses immunitaires au SARS-CoV-2 sur la sévérité de la maladie à coronavirus Covid-19. Elle établit également des liens entre des événements évolutifs passés, tels que la sélection naturelle ou le métissage néandertalien, et les disparités démographiques actuelles en matière de réponses immunitaires et de risque de maladie », explique Lluis Quintana-Murci, responsable de l’unité de Génétique évolutive humaine à l’Institut Pasteur et professeur au Collège de France, auteur co-principal de l’étude.
« En identifiant les voies cellulaires et moléculaires exactes des variants génétiques associés à la gravité de la Covid-19, cette étude fournit des indices pour des stratégies de médecine de précision qui permettraient soit d'identifier les individus à risque, soit de mettre au point de nouveaux traitements », complète Darragh Duffy, responsable de l’unité Immunologie translationnelle à l’Institut Pasteur.
Ces travaux ont été financés par les instituts mentionnés plus haut, ainsi que par l’ANR (COVID-19-POPCELL, POPCELL-REG, COVIFERON), le programme européen Horizon Health 2021 (UNDINE), la Fondation pour la Recherche Médicale, la Fondation Allianz-Institut de France et la Fondation de France.
1 Institut Imagine (France), université de Gand (Belgique), université de Rome (Italie), université de Détroit (USA), université Rockefeller (USA), C2I de Hong Kong (Chine), université de Melbourne (Australie).
2 Au CNRS, cette unité a pour dénomination « Génomique évolutive, modélisation et santé » (CNRS/Institut Pasteur).
3 Un allèle est une version d’un gène, résultant d’une mutation. Un gène possède plusieurs allèles assurant la même fonction que le gène initial mais selon ses modalités propres.
Source
Dissecting human population variation in single-cell responses to SARSCoV-2, Nature, 9 août 2023
Yann Aquino1,2,27, Aurelie Bisiaux1,27, Zhi Li1,27, Mary O'Neill1,27, Javier Mendoza-Revilla1, Sarah Helene Merkling3, Gaspard Kerner1, Milena Hasan4, Valentina Libri4, Vincent Bondet5,Nikaia Smith5, Camille de Cevins6,7, Mickael Menager6,7, Francesca Luca8,9,10, Roger Pique-Regi8,9, Giovanna Barba-Spaeth11, Stefano Pietropaoli11, Olivier Schwartz12, Geert Leroux-Roels13, Cheuk-Kwong Lee14, Kathy Leung15,16, Joseph T.K. Wu15,16, Malik Peiris17,18,19,Roberto Bruzzone18,19, Laurent Abel20,21,22, Jean-Laurent Casanova20,21,22,23,24, Sophie A.Valkenburg18,25, Darragh Duffy5,19, Etienne Patin1, Maxime Rotival1,28* & Lluis Quintana-Murci1,26,28*
1. Institut Pasteur, Universite Paris Cite, CNRS UMR2000, Human Evolutionary Genetics Unit, Paris, France.
2. Sorbonne Universite, College Doctoral, Paris, France.
3. Institut Pasteur, Universite Paris Cite, CNRS UMR2000, Insect-Virus Interactions Unit, Paris, France.
4. Institut Pasteur, Universite Paris Cite, Cytometry and Biomarkers UTechS, Paris, France.
5. Institut Pasteur, Universite Paris Cite, Translational Immunology Unit, Paris, France.
6. Universite Paris Cite, Imagine Institute, Laboratory of Inflammatory Responses and Transcriptomic Networks in Diseases, Atip-Avenir Team, INSERM UMR1163, Paris, France
7. Labtech Single-Cell@Imagine, Imagine Institute, INSERM UMR1163, Paris, France
8. Center for Molecular Medicine and Genetics, Wayne State University, Detroit, MI, USA.
9. Department of Obstetrics and Gynecology, Wayne State University, Detroit, MI, USA.
10. Department of Biology, University of Rome Tor Vergata, Rome, Italy
11. Institut Pasteur, Universite Paris Cite, CNRS UMR3569, Structural Virology Unit, Paris, France.
12. Institut Pasteur, Universite Paris Cite, CNRS UMR3569, Virus and Immunity Unit, Paris, France.
13. Ghent University and University Hospital, Ghent, Belgium.
14. Hong Kong Red Cross Blood Transfusion Service, Hospital Authority, Hong Kong SAR, China.
15. WHO Collaborating Centre for Infectious Disease Epidemiology and Control, School of Public Health, Li Ka Shing Faculty of Medicine, The University of Hong Kong, Hong Kong SAR, China.
16. Laboratory of Data Discovery for Health (D24H), Hong Kong Science Park, Hong Kong SAR, China
17. Division of Public Health Laboratory Sciences, School of Public Health, Li Ka Shing Faculty of Medicine, The University of Hong Kong, Hong Kong SAR, China.
18. HKU-Pasteur Research Pole, School of Public Health, The University of Hong Kong, Hong Kong SAR, China.
19. Centre for Immunology and Infection, Hong Kong Science Park, Hong Kong SAR, China
20. St. Giles Laboratory of Human Genetics of Infectious Diseases, The Rockefeller University, New York, NY, USA.
21. Laboratory of Human Genetics of Infectious Diseases, INSERM UMR1163, Necker Hospital for Sick Children, Paris, France.
22. Imagine Institute, Paris Cite University, Paris, France.
23. Department of Pediatrics, Necker Hospital for Sick Children, Paris, France.
24. Howard Hughes Medical Institute, New York, NY, USA.
25. Department of Microbiology and Immunology, Peter Doherty Institute for Infection and Immunity, University of Melbourne, Melbourne, Australia
26. Chair Human Genomics and Evolution, College de France, Paris, France.
27. These authors contributed equally.
28. These authors jointly supervised this work.
https://doi.org/10.1038/s41586-023-06422-9