Près d’un million de personnes sont actuellement victimes du choléra au Yémen, rappelant que le choléra est toujours une maladie d'actualité, grave et mortelle. Cette infection intestinale aiguë, due à la bactérie Vibrio cholerae, est souvent vue comme une maladie d’autrefois. Depuis le début du 19e siècle, sept pandémies de choléra ont été identifiées à l’échelle mondiale, faisant des millions de victimes. Des chercheurs ont prouvé, il y a quelques semaines, que la septième pandémie de choléra qui sévit depuis 1971 et toujours aujourd'hui en Afrique est d’origine asiatique, comme la majorité des souches résistantes aux antibiotiques isolées sur ce continent…
« Choisir entre la peste ou le choléra », expression bien connue et toujours utilisée pour exprimer un dilemme, un choix cornélien entre deux alternatives aussi mauvaises l'une que l'autre, semble d’un autre âge… Peu de gens savent que le choléra est toujours une maladie dangereuse qui sévit encore dans de nombreux pays répartis sur tous les continents.
« Le choléra est une infection intestinale aiguë due à l’ingestion d’eau ou d’aliments contaminés par des bacilles appartenant aux sérogroupes O1 et O139 de l'espèce Vibrio cholerae (vibrions cholériques) », rappelle Marie-Laure Quilici, responsable du Centre national de référence des Vibrions et du choléra dans l’unité des Bactéries pathogènes entériques, dirigée par le Dr François Xavier Weill (Institut Pasteur). C’est donc surtout une maladie des pays en développement où l’hygiène et le traitement des eaux font défaut.
Le choléra, c’est quoi ?
La maladie résulte de l’absorption par la bouche d’eau ou d’aliments contaminés par le vibrion cholérique. Après quelques heures à quelques jours d’incubation, surviennent de violentes diarrhées et des vomissements, sans fièvre. En l’absence de traitement, la mort survient en 1 à 3 jours, par collapsus cardiovasculaire (chute de la pression sanguine) dans 25 à 50 % des cas. La mortalité est plus élevée chez les enfants, les personnes âgées et chez les individus fragilisés.
Le traitement consiste essentiellement à compenser les pertes digestives d’eau et d’électrolytes. La réhydratation est assurée par voie orale ou par voie intraveineuse, selon le degré de déshydratation. L’amélioration est perceptible au bout de quelques heures et la guérison, sans séquelle, est obtenue en quelques jours. L'antibiothérapie n'est recommandée par l'OMS que pour les déshydratations graves.
Fiche maladie "choléra"
Des millions de cas de choléra souvent ignorés
Plus d’un million de cas de choléra au Yémen ont été rapportés à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) depuis avril 2017. Le Comité international de la Croix-Rouge n’hésite d’ailleurs pas à évoquer « la pire crise humanitaire actuelle dans le monde » dans ce pays. Ce nombre de cas est vertigineux pour un seul pays, il atteint en moins d'un an un nombre de cas équivalent à ce qu'a déclaré Haïti depuis 2010 et représente plus du quart des estimations de l'OMS, qui estime entre 1,3 et 4 millions le nombre de cas annuels dans le monde. « Malgré le Règlement sanitaire international, révisé en 2005 pour inciter les pays à déclarer les évènements constituant une urgence de santé publique, les cas restent sous-notifiés dans le monde, reprend Marie-Laure Quilici, du fait de sous-notification par crainte de conséquences économiques, des systèmes de surveillance souvent insuffisants et d'un manque de terminologie normalisée pour définir un cas de choléra. »
Le choléra, présent dans de nombreuses parties du monde
En France métropolitaine, le choléra, qui fait l’objet d’une déclaration obligatoire, est une pathologie importée rare et en diminution. Mais des cas de choléra sont rapportés par des pays de toutes les régions du monde, et le choléra circule de façon endémique dans certains pays d’Asie du Sud. Il sévit aussi beaucoup en Afrique et plus récemment dans les Amériques, avec l'île d'Hispaniola.
Comment se transmet le choléra ?
Le vibrion cholérique est une bactérie très mobile, aux exigences nutritionnelles modestes, dont l’homme, dans certains cas l’environnement, sont le réservoir. La maladie résulte de l’absorption par la bouche d’eau ou d’aliments contaminés. L’homme joue à la fois le rôle de milieu de culture et de moyen de transport pour le vibrion cholérique : une fois dans l’intestin, les vibrions sécrètent notamment la toxine cholérique, principale responsable de l’importante déshydratation qui caractérise l’infection : les pertes d’eau et d’électrolytes peuvent atteindre 15 litres par jour. Les selles diarrhéiques, massivement contaminées par les vibrions cholériques et libérées en grande quantité, sont responsables de la propagation des bacilles dans l’environnement et de la transmission oro-fécale. La période d’incubation, de quelques heures à cinq jours, et les porteurs sains, favorisent le transport des vibrions sur de plus ou moins longues distances.
Les principaux facteurs favorisants la transmission de l’infection sont le niveau socio-économique et les conditions de vies des populations. Les fortes concentrations de population associées à une hygiène défectueuse jouent un rôle important dans l’apparition et le développement d’une épidémie de choléra.
Les facteurs favorisant une flambée de choléra…
La présence de la bactérie !
Un environnement humide et peu salubre
- pluies saisonnières
- inondations / sécheresses
- estuaires / rivières / marigots
- assainissement défaillant
- changement climatique
Un contexte politique fragile
- une action de santé publique défaillante
Un aspect communautaire / collectif
- rassemblements /promiscuité
- migrations forcées
- pauvreté
- environnement peu salubre
- accès à l'eau limité
- utilisation d'antibiotiques
Un aspect individuel
- hygiène inadéquate
- aliments insalubres
- immunité fragile
- niveau d’éducation insuffisant
- comportement à risque
- croyances et pratiques culturelles (par ex. les funérailles)
Colonie de la bactérie pathogène du choléra, Vibrio cholerae, possédant des secteurs bleus, indiquant la fusion artificielle réussite des deux chromosomes pour donner une souche à chromosome unique. © Institut Pasteur/Thibault Rouxel et Marie-Eve Val, Plasticité du Génome bactérien
L’histoire des épidémies de choléra enfin dévoilée
Des chercheurs de l’Institut Pasteur et du Wellcome Trust Sanger Institute, en collaboration avec plusieurs institutions internationales, ont publié une étude récente dans la revue Science qui a fait date. Ils ont retracé l’histoire des épidémies de choléra ayant touché l’Afrique, l’Amérique latine et les Caraïbes ces 60 dernières années. Qu’ont-ils constaté ? Que l’agent du choléra a été introduit au moins 11 fois en Afrique en 44 ans, toujours à partir de l’Asie et que l’être humain était le principal disséminateur de la maladie sur le continent africain.
François-Xavier Weill, chef de l’unité des Bactéries pathogènes entériques à l’Institut Pasteur.
Ces résultats montrent que le choléra n’a pas été introduit en Afrique uniquement en 1970 avant de s’y établir à long terme ; il y est régulièrement introduit. A partir des deux zones privilégiées d’introduction en Afrique de l’Ouest et en Afrique de l’Est, les épidémies se propagent suivant des routes préférentielles vers des zones de persistance comme le bassin du lac Tchad ou la région des Grands-Lacs
« Ces travaux ont donc des implications pour le contrôle des pandémies de choléra et ouvrent la voie à une meilleure stratégie de lutte. Les régions d’Afrique les plus sensibles à l’introduction du choléra devront être ciblées plus spécifiquement de façon à enrayer les vagues de choléra avant qu’elles ne balaient le reste du continent », soulignent les chercheurs.
Les travaux se sont basés sur l’exceptionnelle collection de souches de vibrions cholériques, constituée et conservée à l’Institut Pasteur depuis près de 50 ans (l’expertise sur le choléra est historique à l’Institut Pasteur – lire plus loin l’encadré « Le CNR Vibrions et choléra à l’Institut Pasteur »), et sur la collection de génomes du Wellcome Trust Sanger Institute, permettant de couvrir non seulement l’Afrique mais d’autres régions géographiques du globe. Un deuxième travail de l’équipe s’est ainsi focalisé sur l’Amérique latine où le choléra épidémique est réapparu en 1991, mais où existaient également des cas sporadiques avec des formes atténuées de la maladie. Résultat : le risque d’épidémies à grande échelle varie selon la souche de V.cholerae. Ainsi, les graves épidémies qui ont touché le Pérou dans les années 1990 et Haïti en 2010 ont été causées par la souche pandémique d’origine asiatique, alors que les cas sporadiques en Amérique latine étaient dus à des souches d’origine locale. « Un des grands enseignements de cette étude est donc qu’il ne faut pas confondre les pandémies de choléra qui font des dizaines de milliers de victimes et les émergences locales qui n’ont a priori pas de potentiel épidémique », ajoutent les chercheurs.
Marie-Laure Quilici, responsable du Centre national de référence des Vibrions et du choléra à l’Institut Pasteur.
L’ensemble de ces études démontre la valeur ajoutée du séquençage du génome entier des souches de V. cholerae pour la surveillance, la prévention et le contrôle du choléra. Nos travaux illustrent l’intérêt d’associer données épidémiologiques et données de laboratoire lors des investigations d’épidémies, renforçant ainsi le message récemment délivré par la Global Task Force on Cholera Control de l’OMS à l’attention des praticiens de santé publique, qui recommande d’associer systématiquement ces deux approches pour une meilleure gestion des épidémies
Faire baisser de 90% le nombre des décès dus au choléra d’ici 2030 !
Une nouvelle stratégie ambitieuse visant à faire baisser de 90% le nombre des décès dus au choléra d’ici 2030 a été présentée par le Groupe spécial mondial de lutte contre le choléra (GTFCC: Global Task Force on Cholera Control), un réseau rassemblant plus d’une cinquantaine d’institutions des Nations Unies, d’organismes internationaux, d’instituts universitaires et d’ONG qui aident les pays touchés par cette maladie. Une action urgente est nécessaire pour protéger les communautés, prévenir la transmission et enrayer les flambées.
Choléra : la compréhension du lien entre les grandes épidémies mondiales ouvre la voie à une meilleure stratégie de lutte
Le choléra sur l’espace presse du site pasteur.fr
Grâce à l’analyse génomique de plus de 1200 souches de Vibrio cholerae, des chercheurs de l’Institut Pasteur et du Wellcome Trust Sanger Institute, en collaboration avec plusieurs institutions internationales, ont démontré pour la première fois le lien entre les différentes épidémies de choléra depuis 1961. Leurs travaux ont été publiés le 10 novembre 2017 dans la revue Science.
Le choléra, en conclusion
Le monde fait aujourd’hui face à la septième pandémie de choléra. L’infection a tué des millions de personnes pendant les six premières, après être sortie de son réservoir originel – le delta du Gange en Inde – au 19e siècle. La pandémie actuelle a démarré en Asie du Sud en 1961, pour atteindre l’Afrique en 1971 et l’Amérique en 1991. Les études récentes auxquelles à activement participé l’Institut Pasteur ont prouvé cette trajectoire historique et le lien qui existe entre les grandes flambées de choléra. En mai 2011, l’Assemblée mondiale de la santé qualifiait la « ré-émergence du choléra » de problème de santé publique mondial et adoptait une résolution visant à améliorer son contrôle. L’ONU considérait alors qu’« avec l’accroissement de la population dans les bidonvilles et les camps de réfugiés, avec l’augmentation du nombre de personnes exposées aux crises humanitaires, le risque du choléra va s’accroître dans le monde ». L’actualité au Yémen lui donne aujourd’hui terriblement raison. Si l’utilisation des vaccins anticholériques oraux peut participer efficacement à un meilleur contrôle du choléra, l’accès à l’eau potable et l’amélioration des services d’assainissement de base dans de nombreux pays, associés à la mobilisation des communautés, sont prioritaires pour la lutte contre cette maladie (et bien d’autres infections véhiculées par l’eau).
Le CNR des Vibrions et du choléra à l’Institut Pasteur
Le centre national de référence (CNR) des Vibrions et du choléra, situé à l’Institut Pasteur, dans l’unité des Bactéries pathogènes entériques, est chargé de la surveillance du choléra et s’intéresse à la biodiversité des souches qui circulent dans le monde. Ce centre de compétence a été abrité au sein de l’Institut Pasteur, du fait de l’expertise historique de l’Institut sur cette maladie, et ce dès les années 50, quand l’Etat a organisé la surveillance des maladies infectieuses. L'unité du Choléra et des vibrions a été officiellement désignée centre national de référence, ou CNR, dans les années 70. Dans le cadre des missions définies par l’arrêté du 29 novembre 2004 (fixant les modalités de désignation et les missions des CNR), le CNR des Vibrions et du choléra est désigné par le Ministère en charge de la santé, et plus particulièrement par la Direction générale de la santé (DGS) et par Santé publique France (SPF), pour assurer la surveillance microbiologique du choléra et des autres infections à vibrions (infections à vibrions non cholériques).