COTONOU, MARSEILLE, PARIS – La décision de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) de porter au premier niveau de la liste des maladies tropicales négligées les morsures de serpent constitue une nouvelle chance de renforcer les stratégies de prise en charge tout particulièrement en Afrique.
Plus d’un million de morsures de serpent surviennent chaque année en Afrique subsaharienne. On estime que les envenimations entraîneraient annuellement 25 000 à 30 000 décès et autant d’invalidités permanentes. La décision de l’OMS, très attendue par les spécialistes, va permettre d’améliorer considérablement le traitement des envenimations en favorisant l’accès aux antivenins et leur emploi dans les centres de santé même les plus reculés d’Afrique subsaharienne.
« La Société Africaine de Venimologie (SAV) a joué un rôle déterminant dans cette décision » affirme le Professeur Achille Massougbodji, Directeur de l’Institut de Recherche Clinique du Bénin et Président de la SAV. « Même si la SAV a été créée il n’y a que 5 ans, la centaine de membres qui la compose œuvre depuis la fin des années 90 pour rassembler les chercheurs et les praticiens concernés par ce problème de santé publique et sensibiliser les Autorités sanitaires des pays africains. Ainsi, 12 pays subsahariens (sur 17 au total) étaient représentés à la réunion technique sur l’accessibilité des antivenins qui s’est tenue à Genève lors de l'Assemblée Mondiale de la Santé en 2016.
« Il faut préciser que l’ampleur de la négligence de ce problème de santé publique est accentuée en Afrique par l’inaccessibilité des antivenins : contrairement à l’Asie ou l’Amérique latine, la plupart des pays subsahariens manque de producteurs d’antivenins. Cela impose une dépendance économique et logistique qui empêche une réponse autonome à la crise et réduit notre force de négociation dans la recherche d'antivenins sûrs et efficaces », a ajouté le professeur Massougbodji.
« La prise en charge des morsures de serpent fait face en Afrique à un cercle vicieux dénoncé régulièrement depuis une vingtaine d’années » souligne le Dr Jean-Philippe Chippaux, Directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et Président d’honneur de la SAV. « La plupart des victimes préfère s’adresser à un thérapeute traditionnel plutôt que de se rendre au Centre de santé pour y recevoir l’antivenin, dont le prix est hors de proportion avec le revenu moyen d’une famille de paysans. Le marché des antivenins est instable du fait de l’incapacité des producteurs reconnus de fournir un antivenin de qualité à un prix abordable… »
« C’est pourquoi, la SAV a mis en œuvre un plan d’action destiné à remplacer le cercle vicieux par un cercle vertueux (www.sav-asv.org) pour améliorer le recueil de données épidémiologiques, former le personnel de santé à la prise en charge des morsures de serpent, définir les caractéristiques des antivenins appropriés pour l’Afrique et identifier des sources de financements des antivenins. Pour cette région, un antivenin doit être efficace contre tous les serpents régionaux, très bien toléré pour être utilisés dans les centres de santé isolés, stable dans les conditions climatiques tropicales et accessible partout où il est nécessaire », précise le Dr Chippaux.
« Le principal défi à relever est désormais de déterminer quels sont les antivenins adaptés à l’Afrique subsaharienne », ajoute le Dr Fabien Taieb, chercheur à l’Institut Pasteur. « Il sera à présent possible d’entreprendre des études cliniques pour préciser l’efficacité et la tolérance des antivenins actuellement disponibles sur le marché africain afin de recommander celui ou ceux qui répondent le mieux au cahier des charges proposé par la SAV », conclut-t-il.