La fièvre paratyphoïde B a pour agent pathogène une bactérie de l’espèce Salmonella enterica et de sérotype Paratyphi B. En Europe, cette maladie a surtout été fréquente au XXe siècle. Elle est donc restée peu étudiée avec des moyens modernes. Des scientifiques de l’Institut Pasteur ont fait de nouvelles découvertes après avoir étudié plus de 500 souches de la bactérie isolées depuis 1898, et provenant d’infections humaines, animales et de produits alimentaires. Ils ont retracé l’histoire évolutive de cet agent pathogène, qui sévit toujours aujourd'hui, le plus souvent dans des zones où l’hygiène est précaire. Ils ont également développé des outils génomiques d’identification et de surveillance mondiale. Ces outils vont faciliter le suivi et la prévention de cette maladie.
En 1896, deux médecins des Hôpitaux de Paris, Charles Achard et Raoul Bensaude, ont identifié une infection chez des patients présentant des symptômes ressemblant à la fièvre typhoïde (cette dernière est causée par le bacille d’Eberth maintenant nommé S. enterica sérotype Typhi). Ne parvenant pas à précisément caractériser les bactéries isolées de ces patients avec les tests de l’époque, ils ont conclu que c’étaient des bactéries proches du bacille d’Eberth et ont appelé ces infections des fièvres paratyphoïdes.
On sait, depuis, qu’il existe 3 types de fièvres paratyphoïdes : A, B et C. Jusqu'à présent, la fièvre paratyphoïde B avait été moins étudiée que les autres, notamment car elle est moins fréquente de nos jours que la fièvre paratyphoïde A.
L’Europe, le réservoir de la fièvre paratyphoïde B
Une collaboration impliquant plus de 18 institutions dans 8 pays a permis d’étudier la circulation des souches bactériennes provoquant la fièvre paratyphoïde B grâce à l’étude du génome de ces bactéries. « Ce pathogène, découvert à Paris en 1896 était très fréquent en Europe avec d'importantes épidémies jusque dans les années 60. Par exemple, une épidémie en Autriche en 1969 avait affecté plus de 900 personnes. Nous avons pu décrire toute l’histoire du pathogène de sa disparition en Europe jusqu’à sa réintroduction ces dernières années à partir de différents endroits du monde comme l’Amérique du Sud, le Moyen Orient, l’Afrique du Nord et l’Asie du Sud. Au cours de la fin du 19ème siècle et du début du 20ème siècle, la bactérie a été exportée d’Europe par les mouvements de population en lien avec l'expansion coloniale ou le commerce. Aujourd'hui, elles reviennent dans les pays industrialisés en particulier via les voyageurs. », explique le Pr François-Xavier Weill, chef de l’unité des Bactéries pathogènes entériques à l’Institut Pasteur et directeur du CNR des Escherichia coli, Shigella et Salmonella.
S. enterica sérotype Paratyphi B serait d’origine européenne et existerait depuis le 13ème siècle. Sa propagation s'effectuait principalement par voie alimentaire, l'être humain constituant le principal réservoir. Un simple porteur dans une chaîne de production alimentaire pouvait suffire à transmettre l'agent pathogène, notamment dans des environnements propices comme les préparations culinaires à base de crème. Les mesures d'hygiène individuelle et alimentaire, la distribution d’eau potable et un meilleur assainissement ont permis de contrôler cette infection en Europe après la deuxième guerre mondiale.
Un outil de surveillance mondiale développé contre la fièvre paratyphoïde B
« Grâce à la génomique, nous avons également mis au point un outil de surveillance mondiale de l’agent pathogène de la fièvre paratyphoïde B. Chaque souche séquencée est assignée à un des 38 génotypes de la bactérie que nous avons identifiés et ces génotypes sont le plus souvent associés à une origine géographique probable de la bactérie. » détaille François-Xavier Weill.
L’outil est en accès libre et peut être utilisé par les scientifiques partout dans le monde, pour comprendre la répartition géographique d'un génotype et détecter une éventuelle épidémie. La surveillance au niveau mondial sera facilitée, même dans des régions sans système de surveillance. « En analysant les bactéries ayant infecté des voyageurs européens ou nord-américains, nous avons pu identifier des foyers importants de la maladie en Amérique du Sud, notamment au Pérou, en Bolivie et en Argentine, à l’heure actuelle. Cependant, même si les bactéries reviennent en France il n’y a pas de risque de diffusion du fait des conditions d’hygiène. Par contre, il est important d’informer ces pays pour que des mesures de contrôle soient prises localement » ajoute le chercheur.
Un risque émergent d’antibiorésistance
Les scientifiques ont également étudié l’antibiorésistance sur l’ensemble des souches bactériennes. Ils ont observé que les résistances ne sont apparues que récemment, ne concerne qu’une classe d’antibiotique mais se retrouvent dans toutes les lignées de la bactérie. "Ces résistances sont probablement liées à la prise d’antibiotiques, de la famille des fluoroquinolones, très utilisés dans le monde depuis les années 80”, souligne François-Xavier Weill.
Ces clones résistants aux antibiotiques se retrouvent notamment chez les porteurs sains, qui hébergent la bactérie en particulier dans la vésicule biliaire des années voire des décennies après un épisode de fièvre paratyphoïde. Pendant ces années, la bactérie sera exposée à la prise d’antibiotiques et donc pourra développer des résistances à ces antibiotiques. La bactérie étant excrétée de façon intermittente dans les selles de ces porteurs sains, alors en zone de faible hygiène ces souches résistantes pourraient devenir la cause de nouvelles infections. A ce jour heureusement, peu de souches résistantes aux antibiotiques sont devenues épidémiques mais une surveillance renforcée s’impose.
Pour cette étude financée en particulier par La Fondation Le Roch-Les Mousquetaires, les scientifiques ont analysé un demi-millier de souches provenant de 41 pays, collectées entre 1898 et 2021 et conservées dans les collections bactériennes uniques de l’Institut Pasteur mais aussi dans les collections des 18 instituts partenaires internationaux, faisant de cette étude une référence incontournable sur la fièvre paratyphoïde B.
Lire aussi l’article qui décrit comment la Fondation Le Roch-Les Mousquetaires soutient deux projets de recherche à l’Institut Pasteur pour la sécurité alimentaire et la lutte contre la résistance aux antibiotiques : Santé alimentaire et antibiorésistance : une lutte contre Listeria et Salmonella | Institut Pasteur
Source :
Genomic perspective on the bacillus causing paratyphoid B fever, Nature Communications, 10 décembre 2024