Un système de défense a été découvert chez les bactéries Escherichia coli, par des scientifiques de l’Institut Pasteur. Dans ce système, une petite molécule d’ADN (le plasmide), connu pour porter des gènes de résistance aux antibiotiques, est éliminée mais le gène de résistance est intégré dans le chromosome bactérien. En se défendant, la bactérie fixe donc la résistance. Une avancée supplémentaire vers une meilleure compréhension de la dissémination de la résistance aux antibiotiques, véritable enjeu de santé publique.
L’OMS vient de révéler, en mai 2024, la liste des principales bactéries résistantes aux antibiotiques : les entérobactéries résistantes aux carbapénèmes font partie des priorités critiques. Les carbapénèmes sont des antibiotiques utilisés en dernier recours en cas d'infection. L’OMS considère que, pour développer de nouveaux antibiotiques, il est prioritaire d’étudier les entérobactéries car certaines produisent une enzyme appelée carbapénèmase, qui leur permet de résister aux carbapénèmes. E. coli est l’entérobactérie la plus fréquemment responsable d’infections. C’est la bactérie qu’a étudiée ici une équipe de l’Institut Pasteur.
Le rôle des plasmides dans le phénomène de résistance chez E. coli
Les bactéries disposent de leur propre ADN, porté par un ou plusieurs chromosomes. Elles ont parfois aussi des plasmides. Ces plasmides sont des molécules d’ADN mobiles qui peuvent passer d’une bactérie à une autre (au sein de la même espèce mais aussi entre espèces différentes).
Les gènes qui rendent les bactéries résistantes aux antibiotiques se trouvent souvent sur les plasmides.
La dissémination de ces plasmides, notamment chez la bactérie E. coli, constitue donc une vraie menace pour la santé publique.
Lorsque la bactérie E. coli n’est pas exposée à des antibiotiques, pendant des périodes longues, les plasmides deviennent souvent désavantageux pour la bactérie qui finit par les perdre.
Malheureusement, les gènes de résistance peuvent passer du plasmide vers le chromosome de la bactérie, dans lequel ils sont intégrés de manière stable. C’est ce qui se passe dans un lignage d’E. coli, fréquemment isolé d’infections humaines. Ce lignage (ST38) porte les gènes de résistance dans son chromosome. Il existe au moins quatre clones ST38, disséminés en Europe, portant le gène OXA-48 inséré dans le chromosome. Le gène OXA-48 code pour la carbapénèmase, la plus fréquemment décrite en France.
Mieux comprendre la dissémination des gènes de résistance aux carbapénèmes
Jusqu’à aujourd’hui, on ne savait pas ce qui permettait aux gènes de résistance aux antibiotiques d’aller des plasmides vers le chromosome pour s’y fixer. C’est pourtant une étape clef de la dissémination de la résistance aux carbapénèmes.
Dans une nouvelle étude, Philippe Glaser, responsable de l’unité écologie et évolution de la résistance aux antibiotiques, et son équipe ont réussi à intégrer le gène OXA-48 dans le chromosome de souches bactériennes. « Ce qui fait l’originalité de notre étude est la reproduction du phénomène d’intégration du gène au laboratoire, ce qui n’était pas gagné d’avance. Nous avons utilisé une multitude de conditions environnementales et de mutations pour mettre en évidence les facteurs responsables de cette intégration », explique Philippe Glaser.
Dieudonné Zongo et sa directrice de thèse Isabelle Rosinski-Chupin ont identifié les facteurs nécessaires à l’intégration du gène de résistance dans le chromosome puis la perte du plasmide :
- Le gène de résistance doit être porté par un élément génétique mobile pour permettre sa capture par le chromosome.
- Le plasmide doit induire un coût biologique pour la bactérie (aussi appelé coût de fitness) : le plasmide devient un fardeau qui favorise sa perte.
- Et, ce qui est entièrement nouveau, la bactérie doit produire des protéines qui entrainent une élimination du plasmide par la bactérie.
Découverte d’un système protéique de défense contre le plasmide
On savait que les bactéries disposaient de systèmes de défense qui les protègent de l’envahissement par des ADN étrangers. Ici, l’équipe de recherche a mis au jour un système particulier composé de deux protéines spécifiques (ApsA et ApsB) pouvant entrainer la perte du plasmide de la bactérie hôte. « C’est un système de défense qui déstabilise le plasmide », résume Isabelle Rosinski-Chupin. « Ce système de protéines va également favoriser l’intégration des gènes de résistance dans le chromosome. L’élimination du plasmide se fait en douceur pour que le gène OXA-48 ait le temps d’être intégré dans le chromosome. »
C’est donc la découverte d’une nouvelle famille de systèmes antiplasmides qui joue un rôle dans la circulation des gènes de résistance aux carbapénèmes.
Un enjeu dans la recherche sur l’antibiorésistance
« Cette découverte permet de mieux comprendre le phénomène de fixation des gènes de résistance aux antibiotiques au sein des chromosomes bactériens », ajoute Philippe Glaser. En effet, les bactéries ayant intégré un gène de résistance dans le chromosome de manière stable sont plus aptes à se disséminer à l’échelle mondiale et à résister à un antibiotique.
Cette étude entre dans le cadre de l’axe scientifique prioritaire Résistance aux agents antimicrobiens du plan stratégique 2019-2023 de l’Institut Pasteur.
Source
An antiplasmid system drives antibiotic resistance gene integration in carbapenemase-producing Escherichia coli lineages, Nature communications, 15 mai 2024
DOI : https://doi.org/10.1038/s41467-024-48219-y