Certaines souches de la bactérie Listeria monocytogenes sont capables de produire une molécule antibiotique, qui lui permet de tuer les autres bactéries avec lesquelles elle rentre directement en contact.
Si l’on connait bien les antibiotiques, consommées pour contrer les infections bactériennes, on ignore plus souvent que certaines bactéries sont elles-mêmes capables d’en produire ! C’est le cas de certaines souches particulièrement virulentes de la bactérie Listeria monocytogenes, responsable de la listériose. Ces souches sont capables de produire un peptide, la listeriolysine S, qui a des propriétés antibiotiques. Cependant, elle ne diffuse pas cette molécule dans son environnement, mais l’utilise uniquement lorsqu’elle entre en contact avec d’autres bactéries. C’est ce qu’a révélé une étude réalisée par plusieurs équipes de l'INRAE, de l'Inserm et l’Institut Pasteur, dont l’unité de recherche Yersinia dirigée par Javier Pizarro-Cerdá, publiée dans la revue PNAS.
Une action ciblée pour moduler la composition du microbiote
Dans l'intestin des mammifères, la Listeria est capable d’exprimer à sa surface la listeriolysine S. La molécule fragilise la membrane de certaines espèces bactériennes avec lesquelles elle entre en contact, ce qui conduit à leur mort. « Certains de nos résultats préliminaires suggèrent que la listeriolysine S est une molécule très hydrophobe, qui n’est pas soluble dans l’eau. Le contact entre une Listeria et une bactérie sensible permettrait donc le passage de la listeriolysine S directement de la membrane de la Listeria à celle de la bactérie sensible, en évitant un passage par le milieu liquide externe », détaille Javier Pizarro-Cerdá. La Listeria est ainsi capable de moduler la composition du microbiote intestinale, afin de moins subir la compétition des autres bactéries. Elle parvient ainsi à mieux infecter l’intestin, puis des organes profonds comme le foie ou la rate. La listeriolysine S est donc associée à la forte virulence des souches qui la produisent.
Une stratégie rare dans le monde bactérien
La découverte de l'activité dépendante de contact de la listeriolysine S est originale puisqu'il s'agit d'une stratégie rare dans le monde bactérien. En ne relâchant pas cette molécule dans l’environnement, la Listeria évite à d’autres bactéries de possiblement bénéficier de la présence de la listeriolysine S. « De plus, complète Javier Pizarro-Cerdá la Listeria va tuer uniquement les bactéries qui profitent du même environnement et des mêmes ressources qu’elle. Elle tue uniquement les bactéries qui se trouvent proches d'elle, et ne gaspille pas ses ressources en produisant une molécule qui pourrait aller loin tuer d'autres bactéries. »
Cette avancée inédite a été possible grâce à l’utilisation de techniques avancées de microscopie, en collaboration avec l’unité Individualité microbienne et infection, l’unité Imagerie et modélisation, la plateforme de Bioimagerie ultrastructurale (UTechS UBI) et le Hub d’analyse d’images de l’Institut Pasteur.
Listeriolysin S: A bacteriocin from Listeria monocytogenes that induces membrane permeabilization in a contact-dependent manner, PNAS, 1er octobre 2021
Jazmín Meza-Torresa,b,c, Mickaël Lelekd, Juan J. Queredae, Martin Sachsef, Giulia Maninag, Dmitry Ershovh,i, Jean-Yves Tinevezh, Lilliana Radoshevichj, Claire Maudetk, Thibault Chazel, Quentin Giai Gianettol,m, Mariette Matondol, Marc Lecuitc,k,n, Isabelle Martin-Verstraeteo, Christophe Zimmerd, Hélène Biernep, Olivier Dussurgeta,c, Pascale Cossartb, Javier Pizarro-Cerdáa
a - Yersinia Research Unit, Microbiology Department, Institut Pasteur, 75015 Paris, France ;
b - Bacteria-Cell Interactions Unit, Cell Biology and Infection Department, Institut Pasteur, 75015 Paris, France ;
c - Université de Paris, Sorbonne Paris Cité, 75005 Paris, France ;
d - Imaging and Modeling, Department of Computational Biology, Institut Pasteur, Centre National de la Recherche Scientifique, Unité Mixte de Recherche 3691, 75015 Paris, France ;
e - Departamento Producción y Sanidad Animal, Salud Pública Veterinaria y Ciencia y Tecnología de los Alimentos, Facultad de Veterinaria, Universidad Cardenal Herrera-CEU,CEU Universities, 46115 Valencia, Spain ;
f - Ultrastructural BioImaging, Institut Pasteur, 75015 Paris, France ;
g - Microbial Individuality and Infection Group, Cell Biology and Infection Department, Institut Pasteur, 75015 Paris, France ;
h - Image Analysis Hub, C2RT, Institut Pasteur, 75015 Paris, France ;
i - Bioinformatics and Biostatistics Hub, Department of Computational Biology, Institut Pasteur, Centre National de la Recherche Scientifique, Unité de Service et de Recherche3756, 75015 Paris, France ;
j - Department of Microbiology and Immunology, Carver College of Medicine, University of Iowa, Iowa City, IA 52242 ;
k - Biology of Infection Unit, Institut Pasteur, Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale Unité 1117, 75015 Paris, France ;
l - Proteomics Platform, Mass Spectrometry for Biology Unit, Institut Pasteur, Centre National de la Recherche Scientifique, Unité de Service et de Recherche 2000, 75015 Paris, France ;
m - Bioinformatics and Biostatistics HUB, Computational Biology Department, Institut Pasteur, Centre National de la Recherche Scientifique, Unité de Service et de Recherche 3756, 75015 Paris, France ;
n - Division of Infectious Diseases and Tropical Medicine, Necker-Enfants Malades University Hospital, Institut Imagine, Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, 75004 Paris, France ;
o - Laboratoire Pathogenèses des Bactéries Anaérobies, Institut Pasteur, Centre Nationalde la Recherche Scientifique, Unité Mixte de Recherche 2001, Université de Paris, 75015 Paris, France ;
p - Epigenetics and Cellular Microbiology Laboratory, Université Paris-Saclay, Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement, AgroParisTech, 78352 Jouy-en-Josas, France