La diphtérie est une infection grave causée chez l’homme par les souches toxinogènes de la bactérie Corynebacterium diphtheriae. Non traitée, elle entraine la mort dans 5 à 25 % des cas. Elle affecte généralement les voies respiratoires supérieures provoquant la formation de pseudomembranes, conduisant parfois à la suffocation. L’infection peut être compliquée par des symptômes systémiques, causés par la toxine diphtérique. Des chercheurs de l’Institut Pasteur ont collaboré avec des chercheurs et médecins yéménites pour jeter la lumière sur l’épidémie actuellement en cours au Yémen.
La diphtérie était la maladie infectieuse la plus mortelle chez les enfants durant l’ère pré-vaccinale. Bien que la vaccination généralisée ait rendu la maladie rare, des flambées de diphtérie se produisent encore dans certains pays ou situations où le système de santé publique est en crise. Au Yémen, où la guerre civile fait rage, une importante épidémie de diphtérie est en cours depuis octobre 2017.
L’étude de l’épidémie grâce à une collaboration internationale
Des chercheurs de l’Institut pasteur ont cherché à étudier les caractéristiques épidémiologiques, cliniques et microbiologiques de cette épidémie. « Notre étude repose sur un ensemble de sources de données collectées au niveau national et sur une collaboration internationale impliquant des épidémiologistes, microbiologistes et experts en génomique bactérienne. Nous avons pu définir la dynamique de l’épidémie de diphtérie et distinguer trois périodes épidémiques au Yémen », explique Sylvain Brisse, responsable du laboratoire Biodiversité et épidémiologie des bactéries pathogènes. L’épidémie a touché presque tous les gouvernorats (provinces) du Yémen, avec 5701 cas probables et 330 décès sur la période d’octobre 2017 à avril 2020. Les chercheurs ont observé que la proportion d’enfants de 0 à 4 ans a été réduite au cours de la deuxième période (juin 2018-mai 2019), après une campagne de vaccination réalisée pour contrôler l’épidémie. Selon Noémie Lefrancq, collaboratrice de l’étude, « ces données suggèrent que même si la campagne de vaccination n’a pas permis d'enrayer la transmission de la maladie, elle a contribué à protéger les jeunes enfants lors des périodes épidémiques suivantes. »
Les différentes lignées identifiées suggèrent une transmission régionale
De plus, des isolats cliniques (souches de Corynebacterium diphtheriae) ont été caractérisés microbiologiquement. Des tests de culture microbiologique, de séquençage génomique, de sensibilité aux antimicrobiens et de production de la toxine diphtérique ont été réalisés. Ceux-ci ont apporté des données précieuses sur la nature des souches infectieuses. Pratiquement tous les isolats d’épidémie produisaient la toxine diphtérique. « Nous avons identifié six lignées phylogénétiques distinctes de Corynebacterium diphtheriae, dont quatre ont été génétiquement associées à des isolats d’Arabie Saoudite, d’Érythrée et de Somalie, suggérant une dynamique de transmission régionale » poursuit Sylvain Brisse. Des variations génomiques inter-lignées dans les gènes associés à la résistance aux antimicrobiens, à l’acquisition du fer et à l’adhésion aux cellules de l’hôte ont été observées. La lignée prédominante (70% des isolats) est résistante au triméthoprime et associée à des caractéristiques génomiques uniques, à un cou enflé plus fréquemment (un signe classique de la diphtérie) et à un âge plus jeune des patients. Son ancêtre commun le plus récent a été placé en 2015, ce qui indique une circulation silencieuse de C. diphtheriae au Yémen bien avant la détection officielle de l’épidémie.
Les données épidémiologiques, cliniques et microbiologiques combinées analysées dans cette étude mettent en lumière que la vaccination de rattrapage semble avoir été efficace pour protéger une partie de la population ciblée (les enfants de 0-4 ans). Cette étude démontre également qu’une multiplicité de souches de C. diphtheriae peuvent émerger durant une épidémie de diphtérie. En effet une baisse de la vaccination favorise l’expression clinique et la diffusion simultanée des souches qui circulaient auparavant de façon asymptomatique dans les populations vaccinées. L’hétérogénéité phénotypique des souches circulantes, ayant par exemple des profils de sensibilité aux antibiotiques différents, souligne l’importance de développer une capacité d’analyse de laboratoire et une surveillance microbiologique en temps réel durant les épidémies de diphtérie. Une mobilisation rapide, ici réalisée via une collaboration avec le centre national de référence français à l’Institut Pasteur permet en effet de fournir des informations critiques pour la prise en charge des cas cliniques, la stratégie vaccinale et le contrôle de la transmission de la diphtérie.
Cette étude entre dans le cadre de l’initiative Vaccinologie et immunothérapie du plan stratégique 2019-2023 de l’Institut Pasteur.
Source
Ongoing diphtheria outbreak in Yemen: Epidemiological, clinical and genomic insights, The Lancet Microbe, 26 mai 2021
Edgar Badell1,2, Abdulilah Alharazi3, Alexis Criscuolo4, The NCPHL diphtheria outbreak working group#, Khaled Abdullah Ali Almoayed13, Noémie Lefrancq5, Valerie Bouchez1, Julien Guglielmini4, Melanie Hennart1,6, Annick Carmi-Leroy1,2, Nora Zidane1, Marine Pascal-Perrigault1, Manon Lebreton1, Helena Martini7, Henrik Salje5,8, Julie Toubiana1,2,9, Fekri Dureab10,11, Ghulam Dhabaan12,* and Sylvain Brisse1,2,*
#The NCPHL diphtheria outbreak working group: Abdulaziz A. Rawah, Mohammed A. Aldawla, kram M. Al-Awdi, Nabila M. Al-Moalmy, Huda Z. Al-Shami, Ali A. Al-Somainy
1 Institut Pasteur, Biodiversity and Epidemiology of Bacterial Pathogens, Paris, France
2 Institut Pasteur, National Reference Center for Corynebacteria of the diphtheriae complex, Paris, F-75724, France
3 National Centre of the Public Health Laboratories (NCPHL), Sana'a, Yemen
4 Hub de Bioinformatique et Biostatistique ‒ Département Biologie Computationnelle, Institut Pasteur, Paris, France
5 Mathematical Modelling of Infectious Diseases Unit, Institut Pasteur, UMR2000, CNRS, Paris, France
6 Sorbonne Université, Collège doctoral, Paris, France
7 Department of Microbiology, National Reference Centre for toxigenic corynebacteria, Universitair Ziekenhuis Brussel, Vrije Universiteit Brussel (VUB), Laarbeeklaan 101, Brussels, Belgium
8 Department of Genetics, University of Cambridge, Cambridge, UK
9 Université de Paris, General Paediatrics and Paediatric Infectious Diseases Department, Hôpital Necker-Enfants malades, APHP, Paris, France
10 Institute for Research in International Assistance, Akkon Hochschule, Berlin, Germany
11 Heidelberg Institute of Global Health, Heidelberg, Germany
12 Mount Sinai Hospital, University Health Network, University of Toronto, Toronto, Canada
13 Department of Diseases Control and Surveillance, Ministry of Public Health and Population, Sana'a, Yemen
*Corresponding Author
Cette étude entre dans le cadre de l’axe scientifique prioritaire Maladies infectieuses émergentes du plan stratégique 2019-2023 de l’Institut Pasteur.