Parmi les maladies diarrhéiques qui restent la seconde cause de mortalité dans le monde chez les enfants de moins de 5 ans, la dysenterie bacillaire ou shigellose demeure un problème majeur de santé publique. Cette maladie est essentiellement présente dans les pays d’Afrique et d’Asie du Sud-Est où elle est endémique malgré la nette amélioration de l’accès à l’eau potable et de la gestion des eaux contaminées. Dans ce contexte, la vaccination reste la méthode de prévention à favoriser, bien qu’aucun vaccin n’ait actuellement été approuvé. Des chercheurs de l’Institut Pasteur ont développé un prototype de vaccin conjugué prometteur issu d’une conception originale basée sur la chimie des sucres : une composante sucre synthétique mime l’antigène polysaccharidique bactérien responsable de l’induction d’anticorps protecteurs. Un essai de phase 1 a été réalisé en Israël. Les résultats publiés dans le journal Lancet Infectious Diseases établissent la preuve de concept de l’innocuité et de l’immunogénicité de ce candidat de conception inédite.
La shigellose, due à la bactérie entéropathogène Shigella, reste un fardeau considérable avec plus de 250 millions de cas qui surviennent chaque année essentiellement dans les pays à moyens et faibles revenus. La mortalité est estimée à environ 212000 décès par an dont 63000 survenant chez les enfants de moins de 5 ans. Chez ces derniers, la morbidité qui inclut un retard staturo-pondéral et cognitif significatif nécessite la mise en œuvre de mesures limitant l’impact à long terme de cette infection (lire la fiche maladie de l’Institut Pasteur sur la shigellose). Par ailleurs, l’émergence de souches de Shigella multirésistantes aux antibiotiques de première et seconde génération réduit l’efficacité d’un traitement par antibiothérapie. Dans ce contexte, un vaccin efficace permettrait de prévenir cette maladie en complétant les actions, nombreuses mais insuffisantes, visant à améliorer le niveau d’hygiène dans les pays touchés.
Une conception originale du candidat-vaccin basée sur la chimie des sucres
Parmi les différentes approches vaccinales à l’étude, un candidat-vaccin original a été élaboré par Laurence Mulard§, responsable de l’unité Chimie des biomolécules, en collaboration avec Armelle Phalipon¥, alors responsable de groupe dans l’unité Pathogénie microbienne moléculaire.
Ce candidat-vaccin a émergé de la compréhension au niveau moléculaire des particularités du polysaccharide exposé à la surface de la bactérie Shigella flexneri 2a (un des sérotypes de Shigella prévalent dans le monde) et cible majeure de la réponse anticorps protectrice contre une ré-infection. « Il est fondé sur l’emploi d’un sucre – ou oligosaccharide – conçu pour mimer le polysaccharide naturel. Cet oligosaccharide, obtenu par synthèse chimique et parfaitement défini, a été optimisé selon une approche multidisciplinaire alliant synthèse et analyse de la relation entre structure et fonction », explique Laurence Mulard. Conjugué à une protéine porteuse, ce sucre de synthèse a conduit à un candidat-vaccin qui induit chez la souris une réponse anticorps protectrice contre cette bactérie.
« Ces données précliniques ont encouragé la réalisation d’un essai clinique de phase I sous la promotion de l’Institut Pasteur, afin d’évaluer l’innocuité et l’immunogénicité de ce candidat-vaccin chez l’adulte sain », poursuit Armelle Phalipon. Financé via le consortium européen Stopenterics conduit par Philippe Sansonetti, alors responsable de l’unité Pathogénie Microbienne Moléculaire, cette étude a été menée au Centre d’essais cliniques du Sourasky Hospital, Tel Aviv (Israël) et coordonnée par Cécile Artaud, chef de projet clinique au Centre de Recherche Translationelle de l’Institut Pasteur. Les résultats publiés dans le journal Lancet Infectious Diseases montrent l’absence d’effets indésirables et une excellente tolérance ainsi que l’induction de taux élevés d’anticorps fonctionnels.
De nouvelles études pour poursuivre l’évaluation de ce candidat vaccin prometteur
L’équipe GlycoShig (Laurence Mulard, Armelle Phalipon, Cécile Artaud et Christiane Gerke) s’est structurée afin de poursuivre, suite à ces données, le développement de cette approche originale avec trois objectifs en vue de concevoir le vaccin d’intérêt pour les pays où la shigellose est endémique.
- Le premier consiste à évaluer chez l’homme la capacité protectrice de ce candidat-vaccin monovalent. Une étude d’infection contrôlée chez l’homme a donc été initiée en collaboration avec le Center for Vaccine Development, Université du Maryland (Baltimore, MD, Etats-Unis), coordonnée par Christiane Gerke, du service Développement de l’Innovation, et Cécile Artaud avec le soutien financier de la Fondation Bill et Melinda Gates (BMFG).
- Le second vise à évaluer la tolérance et l’immunogénicité de ce candidat-vaccin dans la population cible des très jeunes enfants en zone d’endémie. Une étude de phase 2a, pour laquelle l’Institut Pasteur s’est porté promoteur, coordonnée par Armelle Phalipon et Cécile Artaud vient de commencer au centre de recherche clinique de Kericho (HJFMRI-KEMRI) au Kenya, grâce au soutien de la BMFG et du Welcome Trust.
- Le troisième objectif est de transférer cette stratégie moléculaire séduisante à d’autres sérotypes de Shigella. Soutenus via le consortium européen Stopenterics, l‘Institut Pasteur et la BMGF, les travaux amont, coordonnés par Laurence Mulard et Armelle Phalipon, visent à établir la preuve de concept chez la souris.
Les développements en cours, coordonnés par Laurence Mulard et Christiane Gerke, conduiront au vaccin conjugué multivalent issu de sucres de synthèse permettant d’assurer une large couverture contre les principales souches circulantes de Shigella. Dans ce but, l’Institut Pasteur et le Gates Medical Research Institute (Gates MRI) ont signé un accord de licence et de collaboration. Si les données précliniques sont prometteuses, le Gates MRI parrainera des études cliniques pour évaluer le potentiel du candidat vaccin multivalent chez l’Homme et en cas de succès, en encadrera le développement ultérieur.
§ Contribution of the Chem-GlycoShig group
¥ Affiliation actuelle : Laboratoire Innovation : Vaccins
Source
Safety and immunogenicity of a synthetic carbohydrate conjugate vaccine against Shigella flexneri 2a in healthy adult volunteers: a phase 1, dose escalating, single-blind, randomised, placebo-controlled study. Lancet Infectious Diseases, November, 10, 2020
Dani Cohen, PhD1*, Jacob Atsmon, MD1,2, Cécile Artaud, MSc3, Shiri Meron-Sudai, PhD1, Marie-Lise Gougeon, PhD4, Anya Bialik, MSc1, Sophy Goren, BSc1, Valeria Asato, MSc1, Ortal Ariel-Cohen, PhD1, Arava Reizis, PhD1, Alexandra Dorman MSc1, Carla W.G. Hoitink, PhD5 Janny Westdijk, BSc5, Shai Ashkenazi, MD6, Philippe J. Sansonetti, MD7, Laurence A. Mulard, PhD8, #, Armelle Phalipon, PhD7,#
1. School of Public Health, Sackler Faculty of Medicine, Tel Aviv University, Ramat Aviv, Tel Aviv, Israel. 2. Clinical Research Center, Tel Aviv Sourasky Medical Center, 6 Weizmann Street, Tel Aviv 6423906, Israel.
3. Centre de Recherche Translationnelle - Coordination Clinique Institut Pasteur, 28 rue du Dr Roux, Paris, France
4. Unité Immunité Innée et Virus, Institut Pasteur, 25 rue du Dr Roux, 75724 Paris, France.
5. Intravacc, Bilthoven, The Netherlands.
6. Adelson School of Medicine, Ariel University and Schneider Children's Hospital Petah Tikva 49202, Israel.
7. Unité de Pathogénie Microbienne Moléculaire, Institut Pasteur, INSERM U1202, 28 rue du Dr Roux, 75724 Paris, France.
8. Unité de Chimie des Biomolécules, Institut Pasteur, UMR3523 CNRS, 28 rue du Dr Roux, 75724 Paris, France.
https://doi.org/10.1016/S1473-3099(20)30488-6
* Corresponding author, # Co-senior authors
Cette étude entre dans le cadre de l’initiative Vaccinologie et immunothérapie du plan stratégique 2019-2023 de l’Institut Pasteur.