L’exceptionnelle collection de souches bactériennes de l’Institut Pasteur a été mise à contribution pour des travaux de l’université de Californie. Ces travaux concernent la modification d’une classe d’antibiotiques (streptogramines du groupe A), découverts et isolés en France dans les années 60, afin de restaurer leur activité et leur permettre de déjouer la résistance des bactéries qu’ils visent à détruire. Le rôle d’appoint de l’Institut Pasteur dans cette étude rappelle sa collection unique de souches résistantes, et son intérêt dans ce type de recherches. La résistance aux agents antimicrobiens est un des trois axes scientifiques prioritaires du plan stratégique 2019-2023 de l’Institut Pasteur.
De nos jours, il y a peu sinon pas de nouveaux antibiotiques : une quinzaine de classes thérapeutiques existe depuis les années 70. « Ce sont à l’origine des produits naturels fabriqués par les micro-organismes du sol (champignons, bactéries filamenteuses de type Streptomyces) et qui ont été utilisés par l’homme car ils sont actifs contre les bactéries pathogènes et qu’ils n’ont pas de toxicité pour les cellules humaines ou animales, donc ils sont bien tolérés », rappelle Olivier Chesneau, chercheur travaillant à la Collection de l’Institut Pasteur (CIP), créée dès 1891 pour conserver des souches bactériennes. La CIP est aujourd’hui riche d’une belle biodiversité avec plus de 25 000 souches bactériennes appartenant à 5500 espèces différentes.
Un travail de chimistes californiens permettant de modifier les streptogramines
Les industries pharmaceutiques ont fait évoluer les molécules antibiotiques en pratiquant l’hémisynthèse : on isole le composé par fermentation puis on lui greffe dessus des modifications chimiques qui améliorent ses propriétés pharmacocinétiques (absorption et distribution dans l’organisme) et/ou pharmacodynamiques (action contre le micro-organisme pathogène). Beaucoup de ces modifications visent à lutter contre les mécanismes de résistance développés au fil du temps par les bactéries pathogènes : on rend l’antibiotique insensible au mécanisme de résistance. Mais, « aujourd’hui il devient difficile de lutter contre les mécanismes de résistance qui s’accumulent dans les bactéries pathogènes », reprend le scientifique de l’Institut Pasteur. « On n’a plus beaucoup de solutions chimiques pour modifier les antibiotiques existants et on a un vrai risque d’impasse thérapeutique pour de nombreux pathogènes en l’absence de nouveaux antibiotiques. »
C’est toute l’originalité du travail des chimistes de l’université de Californie à San Francisco (UCSF), qui ont conçu un procédé de fabrication modulaire totalement dépendant de l’apport de précurseurs synthétiques, rendant possible la modification à façon et très large du composant A des streptogramines, composant clé dans l’activité biologique des streptogramines mais aussi composant à la structure chimique très complexe (lactone macrocyclique avec de nombreuses doubles liaisons).
L’expertise en microbiologie de l’Institut Pasteur
Isolées puis commercialisées au tout début des années 60, les streptogramines sont l’une des dernières classes d’antibiotiques à avoir été découvertes. Elles sont surtout utilisées en France où c’est la 2e classe d’antibiotiques consommés. Il s’agit de l’association d’un composant A et d’un composant B qui se fixent tous les deux sur le ribosome bactérien pour le bloquer. L’association est bactéricide, donc très efficace. « Nous avons beaucoup travaillé à l’Institut Pasteur sur les gènes et mécanismes de résistance aux streptogramines dans les laboratoires de Névine El Solh et de Patrice Courvalin. » Olivier Chesneau a travaillé dans ces deux unités et aujourd’hui il s’occupe de gérer les ressources génétiques pour l’antibiorésistance à la Collection de l’Institut Pasteur : « J’ai été contacté par l’équipe de chimistes californiens pour leur apporter une expertise microbiologique. » Il s’agit d’abord du choix des souches résistantes, puis de tester in vitro l’efficacité des molécules candidates avant de décider du modèle animal le plus adapté pour évaluer le potentiel curatif du meilleur candidat retenu. « Nous avons aussi contribué à appuyer dans l’étude l’utilisation de cette molécule - streptogramine - aux Etats-Unis et ailleurs, car il n’y a guère que la France qui a une expérience en la matière. La demande de matériel biologique portait sur des souches de staphylocoques et d’entérocoques aussi diverses que possible capables de produire tous les variants recensés d’une enzyme d’inactivation qui acétyle le composant A des streptogramines et le rend inactif. »
Une collection unique de souches résistantes à la CIP
L’étude américaine, qui s’est appuyée au préalable sur des analyses structurales identifiant les zones du composant A qui interagissent avec le ribosome, d’une part, et avec l’enzyme d’acétylation, d’autre part, laissait espérer qu’on puisse modifier la zone reconnue par l’enzyme d’acétylation sans toucher à la zone active bloquant l’activité du ribosome bactérien. « Pari réussi ! conclut Olivier Chesneau. Validé in vitro et in vivo ! »
L’Institut Pasteur a eu un rôle d’appoint dans cette recherche qui rend visible la collection unique de souches résistantes de l’Institut, et son intérêt majeur pour mener des recherches dans ce domaine, d’autant que la résistance aux agents antimicrobiens est un des trois axes scientifiques prioritaires du plan stratégique 2019-2023 de l’Institut Pasteur. « Pour les streptogramines mais aussi pour les autres antibiotiques, souligne Olivier Chesneau. C’est le sens, par exemple, de notre engagement dans le projet CARE mené avec des collègues danois du DTU et français du CIRM pour établir une vraie collection européenne de souches résistantes. »
En savoir plus sur le projet CARE
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Source
Synthetic group A streptogramin antibiotics that overcome Vat resistance, Nature, 23 septembre 2020
Authors: The study was led by Ian Seiple of UCSF. Qi Li, Jenna Pellegrino, D. John Lee, Arthur Tran, Hector A. Chaires, Ruoxi Wang, Jesslyn E. Park, Kaijie Ji, David Chow, Justin T. Biel, Matthew Jacobson, and James Fraser of UCSF; Axel Brilot and Kenneth Borrelli of UCSF and Howard Hughes Medical Institute; Na Zhang of UCSF and Beijing University of Technology; Gydo van Zundert of Schrödinger, Inc.; Dean Shinabarger, Cindy Wolfe, and Beverly Murray of Micromyx; and Estelle Mühle and Olivier Chesneau of Institut Pasteur are also co-authors.
Funding: This project was funded by the UCSF Program for Breakthrough Biomedical Research, funded in part by the Sandler Foundation (J.S.F. and I.B.S.), a Sanghvi-Agarwal Innovation Award (J.S.F.), Packard Fellowships from the David and Lucile Packard Foundation (J.S.F. and I.B.S.), NIH GM123159 (J.S.F.), and NIH GM128656 (I.B.S.).
Cette étude entre dans le cadre de l’axe scientifique prioritaire Résistance aux agents antimicrobiens du plan stratégique 2019-2023 de l’Institut Pasteur.
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