En s’aidant d’une analyse de structure génétique réalisée sur 25 populations du moustique Aedes albopictus couvrant l’ensemble des continents, des scientifiques ont montré que l'histoire démographique d'Ae. albopictus a façonné la compétence vectorielle de ces populations. Cette information est essentielle pour mieux estimer les risques d’émergence du chikungunya en Europe.
Qui n’a pas entendu parler du moustique tigre ? L’été est sa saison de prédilection sous nos latitudes. Encore anecdotique en 2004, date de sa détection à Menton dans le sud-est de la France, Aedes albopictus est aujourd’hui présent dans plus de la moitié des départements en France métropolitaine. L’espèce présente une dynamique d’expansion très soutenue en France par rapport aux autres pays européens.
Depuis 2004, date de l’émergence du chikungunya sur l’Île de La Réunion, la communauté des entomologistes a concentré beaucoup d’efforts sur l’étude de cette espèce. En collaboration avec l’Université de Pavia et la Faculté de médecine de Genève, l’Institut Pasteur à Paris et l‘Institut Pasteur de Guadeloupe nous livrent une histoire évolutive de ce moustique tout à fait passionnante. Aedes albopictus est un moustique qui a profité des activités humaines, pour étendre son territoire et être à l’origine des émergences d’arbovirus dont il est le vecteur. Le chikungunya est un virus de la famille des Togaviridés qui, à plusieurs reprises, a affecté différentes parties du monde : 2004 dans l’Océan Indien, 2007 en Afrique, 2007 en Europe, 2011 dans la région Pacifique, et 2013 en Amérique.
Originaire d’Asie, Ae. albopictus s’est propagé à partir du XVIIIe siècle dans les îles de l’Océan Indien, les îles Hawaii, et dès les années 80, a conquis les régions tempérées, Europe et les Amériques. La capacité de ses œufs à tolérer des basses températures et à résister à la sécheresse donne à ce moustique le privilège de figurer parmi les 100 espèces invasives les plus dangereuses.
En s’aidant d’une analyse de structure génétique réalisée sur 25 populations d’Ae. albopictus couvrant l’ensemble des continents, les scientifiques ont montré que l'histoire démographique d'Ae. albopictus qui résulte d’évènements successifs d’invasions, de diversification et divergence par rapport aux lignées ancestrales, a façonné la compétence vectorielle de ces populations. Ainsi, les interactions spécifiques d’un génotype de moustique et d’un génotype du virus ont influencé la compétence vectorielle d’Ae. albopictus pour le virus du chikungunya selon un processus de coévolution adaptative. Cette information est essentielle pour mieux estimer les risques d’émergence du chikungunya, précisant la forte proximité génétique du moustique du Sud-Est de la France avec celui de l’Ile de la Réunion, où a eu lieu la plus grande épidémie de chikungunya jamais survenue en France, et plus globalement, en Europe.
Représentation géographique de la diffusion mondiale d'Ae. albopictus mettant en évidence la co-ascendance des différentes populations dérivées et l'efficacité de dissémination et de transmission du virus Chikungunya (CHIKV). Crédit : Institut Pasteur.
Source
Vector competence of Aedes albopictus populations for chikungunya virus is shaped by their demographic history, Communications Biology, 24 juin 2020
Anubis Vega-Rúa 1,*, Michele Marconcini 2,*, Yoann Madec 3, Mosè Manni 2,4, Davide Carraretto 2,Ludvik Marcus Gomulski 2, Giuliano Gasperi 2,#, Anna-Bella Failloux 5,# & Anna Rodolfa Malacrida 2,#
1 Laboratory of Vector Control Research, Institut Pasteur of Guadeloupe, 97139 Guadeloupe, France
2 Department of Biology and Biotechnology, University of Pavia, Via Ferrata 9, 27100 Pavia, Italy.
3 Department of Infection and Epidemiology of Emerging Diseases, Institut Pasteur, 25-28 rue du Dr Roux, 75724 Paris, France
4 Department of Genetic Medicine and Development, University of Geneva Medical School, 1 rue Michel-Servet 1211 Genève and Swiss Institute of Bioinformatics, Geneva, Switzerland
5 Department of Virology, Arboviruses and Insect Vectors Unit, Institut Pasteur, 25-28 rue du Dr Roux, 75724 Paris, France.
* These authors contributed equally
# co-last authors
Communications Biology (2020) 3:326 (https://doi.org/10.1038/s42003-020-1046-6)
Cette étude entre dans le cadre de l’axe scientifique prioritaire Maladies infectieuses émergentes du plan stratégique 2019-2023 de l’Institut Pasteur.