D’où vient le SARS-CoV-2 ? Comment ce virus s’est-il introduit dans la population humaine ? Les réponses à ces questions restent encore en suspens. En juin 2022, un groupe d’experts missionné par l’Organisation mondiale de la santé - OMS (groupe appelé SAGO - Scientific Advisory Group for the origins of novel pathogens) a publié un rapport sur l’origine du coronavirus, sans pouvoir établir de conclusion définitive. Depuis, les recherches se poursuivent, notamment à l’Institut Pasteur et dans le Pasteur Network, pour développer les connaissances sur le SARS-CoV-2 et l’évolution de la maladie, afin de mieux comprendre l’origine de la pandémie. Dans ce cadre, une nouvelle étude1, conduite par des chercheurs de l’Institut Pasteur sur des virus proches de SARS-CoV-2, circulant chez les chauves-souris au Laos, conclut qu’il est peu probable que ces virus aient pu, comme le SARS-CoV-2, acquérir la capacité à infecter les poumons humains par accumulation de mutations au cours d’une circulation préalable silencieuse dans des populations humaines ou d’hôtes intermédiaires. Explications.
L’annonce par l’OMS de la circulation d’un nouveau coronavirus, baptisé un peu plus tard SARS-CoV-2, date officiellement du 9 janvier 2020. Ce virus à l’origine de la pandémie de Covid-19 aurait causé environ 15 millions de décès à travers le monde (source OMS concernant la surmortalité due au Covid-19 entre le 1er janvier 2020 et le 31 décembre 2021).
Origine du coronavirus : l’objet de nombreuses recherches
En mars 2023, alors que cette pandémie n’est pas encore totalement terminée, l’origine du SARS-CoV-2 est encore un sujet de débat. L’OMS a réalisé en janvier et février 2021 une enquête à ce sujet à Wuhan, puis le groupe d’experts SAGO (Scientific Advisory Group for the origins of novel pathogens) missionné par l’OMS a publié un rapport2 en juin 2022 sans pouvoir établir de conclusion définitive à ce stade. Des articles scientifiques publiés dans la revue Science3 en août 2021 et dans la revue Cell4 en septembre 2021 ont également fait le point sur la question.
Origine du coronavirus : trois hypothèses au sein de la communauté scientifique
Les coronavirus étant fréquemment présents chez les chauves-souris, le SARS-CoV-2 aurait pu été transmis à l’être humain à partir de ce réservoir. Il existe environ 1500 espèces de chauves-souris et plusieurs centaines de coronavirus ont été décrits chez ces espèces. Certains de ces coronavirus sont très proches du SARS-CoV-2 avec parfois plus de 96% d’identité de séquence entre des coronavirus de chauve-souris et SARS-CoV-2. Une question majeure est de comprendre les mécanismes moléculaires et les modalités de transmission qui ont pu transformer un virus de chauve-souris en un virus très proche devenu hautement diffusible chez l'homme.
Plus généralement, à propos de l’origine du coronavirus SARS-CoV-2 :
La description des premiers cas de SARS-CoV-2 aux abords du marché de Wuhan plaide en faveur d’un franchissement naturel de la barrière d’espèces à partir d’un hôte intermédiaire commercialisé à cet endroit (voir réf. 3 et réf. 4 plus bas). Cette hypothèse dite « zoonotique » est la plus probable selon les scientifiques, mais les recherches doivent se poursuivre avant de pouvoir l’établir formellement. Le franchissement de barrière d’une espèce à une autre, directement à partir du réservoir animal sauvage, ou à partir d’un hôte intermédiaire, a déjà été mis en évidence pour de nombreux virus. Il peut être suivi de transmissions interhumaines (VIH, Ebola, SARS…), mais pas toujours (grippe aviaire). Les mécanismes adaptatifs sous-jacents sont variés.
Une seconde hypothèse, formulée dans le rapport2 SAGO, ne peut être écartée sans être pour autant scientifiquement prouvée : la possibilité d’une introduction du SARS-CoV-2 dans la population humaine à la suite d’une fuite de laboratoire, que cette fuite ait affecté un coronavirus conservé à l’état naturel ou un coronavirus modifié volontairement ou non en laboratoire. Le rapport SAGO indique à ce sujet que « des renseignements supplémentaires [sur la mise en œuvre institutionnelle des pratiques de biosûreté et de biosécurité des laboratoires] devront être obtenus et examinés pour formuler des recommandations concluantes. »
Enfin, l’hypothèse d’une fabrication du virus en laboratoire à des fins d’introduction dans la population est rejetée par la quasi-totalité de la communauté scientifique : elle a notamment été alimentée par des fake news ou encore certains articles, controversés et dénués de fondement scientifique.
Pour en savoir plus, lire notre page « Coronavirus : attention aux fausses informations sur la COVID-19 circulant sur les réseaux sociaux »
Christophe d’Enfert, directeur général adjoint scientifique de l’Institut Pasteur, souligne que « les études se poursuivent, notamment à l’Institut Pasteur et dans le Pasteur Network, pour continuer à développer les connaissances sur le virus SARS-CoV-2, l’évolution de la maladie et l’origine de la pandémie actuelle. »
Découverte de sarbecovirus, proches du SARS-CoV-2, chez des chauves-souris
Dans une première étude5 publiée en février 2022 dans la revue Nature, des chercheurs de l’Institut Pasteur, en particulier du laboratoire de Découverte de pathogènes dirigé par Marc Eloit, ont découvert dans des écouvillons fécaux de chauves-souris du nord du Laos des coronavirus très similaires au SARS-CoV-2, dont trois sarbecovirus nommés BANAL-103, BANAL-236, BANAL-52. Ils ont pu montrer que ces virus se lient au récepteur humain ACE2 plus efficacement que les premières souches de SARS-CoV-2 séquencées au début de l’épidémie à Wuhan et qu’ils peuvent se multiplier dans les cellules humaines.
Les scientifiques ont constaté néanmoins que les protéines de spicule de ces sarbecovirus étaient dépourvues d’un site de clivage par la furine*, qui se révèle déterminant pour la pathogénicité et la transmissibilité du SARS-CoV-2 par voie respiratoire et qui était présent dans le SARS-CoV-2 en circulation dans la population humaine dès le début de l’épidémie. Ce site de clivage favorise en particulier l’entrée du virus dans les cellules épithéliales respiratoires (en particulier celles des poumons).
* La furine est une protéase ubiquitaire permettant de cliver la protéine de spicule du virus. Le clivage de cette protéine située à la surface du coronavirus SARS-CoV-2 permet l’infection des cellules respiratoires.
A la recherche de la dynamique d’évolution de la Covid-19
Dans une nouvelle étude1 parue le 6 mars 2023 dans EMBO Reports, des chercheurs de l’Institut Pasteur, d’Université Paris Cité et de l’École nationale vétérinaire d’Alfort (EnvA) ont analysé le pouvoir pathogène (pour l’être humain) et les capacités de diffusion de ces trois virus identifiés chez des chauves-souris vivant au Laos à l’état naturel.
L’objectif de cette étude était d'évaluer la possibilité de retracer la dynamique d’évolution de l’épidémie de Covid-19. Pour cela, les chercheurs ont émis l’hypothèse qu’une infection de la population humaine par l'un de ces trois virus de chauve-souris se soit produite avant la détection des premiers cas cliniques de Covid-19 à la fin de l’année 2019, précédant l’adaptation à l’être humain de souches plus transmissibles et pathogènes. Ils ont ensuite évalué les conséquences cliniques, épidémiologiques et évolutives d’un éventuel saut d’espèce de l’un d’entre eux (le virus BANAL-236) chez l’être humain, à l’aide de modèles animaux.
Comme l’explique Marc Eloit, auteur principal de cette nouvelle étude : « Pour envisager une origine naturelle à toute épidémie et mieux comprendre l’origine d’une zoonose, il est essentiel de vérifier rigoureusement les différentes étapes d’infection dans les populations humaines, si possible grâce à l’étude directe du pathogène ancestral le plus proche. »
Les recherches pratiquées dans le cadre de cette étude ont montré que ces virus ont une faible pathogénicité et transmissibilité chez l’être humain, associées à un tropisme respiratoire réduit. Par ailleurs, elles ont permis de conclure qu’il est très peu probable qu’un site de clivage par la furine ait été acquis dans la protéine de spicule du virus BANAL 236, pendant une circulation silencieuse préalable chez l’homme ou, probablement, chez d’autres espèces permissives.
Dans l'hypothèse où SARS-CoV-2 serait issu d’une évolution de BANAL 236 et aurait été amené à acquérir ce site de clivage par la furine, alors l’étude menée par l’équipe de Marc Eloit estime que cette acquisition se serait plus probablement faite par recombinaison** et de manière préalable à un saut d’espèce efficace, car les virus résultants ont pu ensuite être sélectionnés compte tenu de leur avantage de transmissibilité par voie respiratoire.
** La recombinaison est un échange de matériel génétique, généralement entre virus ou avec des séquences cellulaires.
En parallèle, les chercheurs ont montré que les souris infectées par le virus de chauve-souris BANAL-236, peu ou pas pathogène, sont ensuite protégées contre le SARS-CoV-2, comme attendu, par la proximité de ces virus.
Enfin, les scientifiques ont étudié, au Laos, le statut sérologique des personnes fortement exposées pour des raisons professionnelles aux chauves-souris, dans la zone précise où les souches de virus avaient été isolées dans la précédente étude. Ils n’ont pas trouvé de traces sérologiques d'infections par ces sarbecovirus des chauves-souris, confortant la faible diffusibilité de ces virus.
« Ces travaux en laboratoire et chez l’animal, complétés par l’étude de la sérologie de personnes en contact étroit avec des chauves-souris, montrent qu’il est peu probable que l’acquisition du site de clivage par la furine par le virus BANAL 236 se soit faite lors d’une circulation préalable active et silencieuse chez l’humain ou d’autres espèces permissives, c’est-à-dire chez lesquelles le virus peut se répliquer », conclut Marc Eloit.
Sources
Réf.1. SARS-CoV-2-related bat virus in human relevant models sheds light on the proximal origin of COVID-19, EMBO Reports, 6 mars 2023 - https://doi.org/10.15252/embr.202256055
Article prépublié sur Research Square, 30 juin 2022
Sarah Temmam1,2,†, Xavier Montagutelli3,†, Cécile Herate4,†, Flora Donati5,6,†, Béatrice Regnault1,2, Mikael Attia5, Eduard Baquero Salazar7, Delphine Chretien1,2, Laurine Conquet3, Grégory Jouvion8,9, Juliana Pipoli Da Fonseca10, Thomas Cokelaer10, Faustine Amara5, Francis Relouzat4, Thibaut Naninck4, Julien Lemaitre4, Nathalie Derreudre-Bosquet4, Quentin Pascal4, Massimiliano Bonomi11, Thomas Bigot1,12, Sandie Munier5, Felix A Rey7, Roger Le Grand4, Sylvie van der Werf5,6 and Marc Eloit *,1,2,13
- Institut Pasteur, Université Paris Cité, Pathogen Discovery Laboratory, Paris, France
- Institut Pasteur, Université Paris Cité, The OIE Collaborating Center for the Detection and Identification in Humans of Emerging Animal Pathogens, Paris, France
- Institut Pasteur, Université Paris Cité, Mouse Genetics Laboratory, Paris, France
- Center for Immunology of Viral, Auto-immune, Hematological and Bacterial Diseases (IMVA-HB/IDMIT), Université Paris-Saclay, Inserm, CEA, Fontenay-aux-Roses, France
- Institut Pasteur, Université Paris Cité, CNRS UMR 3569, Molecular Genetics of RNA Viruses Unit, Paris, France
- Institut Pasteur, Université Paris Cité, National Reference Center for Respiratory Viruses, Paris, France
- Institut Pasteur, Université Paris Cité, CNRS UMR 3569, Structural Virology Unit, Paris, France
- Ecole Nationale Vétérinaire d'Alfort, Unité d'Histologie et d'Anatomie Pathologique, Maisons-Alfort, France
- Université Paris Est Créteil, EnvA, ANSES, Unité DYNAMYC, Créteil, France
- Biomics Platform, C2RT, Institut Pasteur, Université Paris Cité, Paris, France
- Institut Pasteur, Université Paris Cité, CNRS UMR 3528, Structural Bioinformatics Unit, Paris, France
- Bioinformatic and Biostatistic Hub – Computational Biology Department, Institut Pasteur, Université Paris Cité, Paris, France
- Ecole Nationale Vétérinaire d'Alfort, University of Paris-Est, Maisons-Alfort, France
† These authors contributed equally to this work
* Corresponding author: Institut Pasteur, Paris, France.
Réf.2. Position du groupe SAGO,
Scientific Advisory Group for the origins of novel pathogens (OMS), juin 2022.
Réf. 3. The animal origin of SARS-CoV-2,
Spyros Lytras et al, Science, Août 2021.
Réf. 4. The origins of SARS-CoV-2: A critical review, µ
Edward C. Holmes et al. Cell. Sept 2021.
Réf.5. Bat coronaviruses related to SARS-CoV-2 and infectious for human cells,
Nature, 16 février 2022
Article prépublié sur Research Square, 17 septembre 2021