Si les mécanismes d’entrée du SARS-CoV-2 dans les cellules de l’hôte sont de mieux en mieux documentés, les interactions moléculaires directes entre le virus et son hôte restent peu connues. Des scientifiques de l’Institut Pasteur, du CNRS, d’Université Paris Cité, du Helmholtz Munich, du Donnelly Centre for Cellular and Biomolecular Research à Toronto et du Center for Cancer Systems Biology à Boston ont dressé une cartographie systématique des contacts moléculaires entre le virus SARS-CoV-2 et son hôte humain. L’identification de partenaires directs des protéines virales a mis en évidence des chaînes de connexion entre les protéines virales et des protéines humaines dont les différences génétiques pourraient influencer la gravité des symptômes de la COVID-19. Ces résultats ont été publiés dans la revue Nature Biotechnology, le 10 octobre 2022.
La réponse immunitaire de l’hôte ainsi que chaque étape du cycle viral sont médiées par des contacts directs entre les molécules virales et celles de l'hôte. La grande majorité des contacts entre le SARS-CoV-2 et les cellules humaines n'a pas encore été identifiée.
Une équipe internationale de chercheurs et chercheuses a généré une cartographie systématique des contacts directs entre protéines virales et protéines humaines, appelée « contactome ». Plus de 200 contacts protéine-protéine directs ont ainsi été identifiés, fournissant la première cartographie exhaustive du contactome du virus SARS-CoV-2 chez l’homme.
Pour ce faire, les scientifiques ont procédé à un examen systématique des interactions d’une trentaine de protéines virales, avec ~17,500 protéines humaines, soit environ 450 000 paires de protéines. Une telle cartographie peut s’assimiler à la résolution d’un immense puzzle, nécessitant l’utilisation de la robotique pour interroger à haut débit un tel nombre de paires de protéines, et de l’intelligence artificielle pour l'évaluation initiale de l'existence ou non d'interactions.
Cette cartographie a permis d’établir des connexions entre certaines protéines du SARS-CoV-2 et des protéines humaines codées par des gènes liés à une probabilité augmentée de développer une forme grave de COVID-19, ou à l’existence de pathologies de type troubles cardiaques ou désordres métaboliques (diabète, etc.) « Nous savons déjà que les différences génétiques chez l’Homme jouent un rôle clé dans l’évolution et la gravité d’une infection par le SARS-CoV-2 », déclare le professeur Pascal Falter-Braun, co-dernier auteur, directeur de l’Institute of Network Biology (INET) du Helmholtz Munich. « Grâce à l’identification des points de contact moléculaires, il est désormais possible d’en examiner les mécanismes sous-jacents », poursuit-il.
Les chercheuses et chercheurs ont ensuite poursuivi leurs travaux à travers l’analyse fonctionnelle de ces protéines. Ils ont pu démontrer qu’en interagissant directement avec certaines protéines de l’hôte, le virus active d’importantes voies de signalisation inflammatoire. Ces contacts pourraient expliquer les réactions inflammatoires « exagérées » qui jouent un rôle clé dans l’évolution vers une forme grave de COVID-19.
« Notre expertise des interactions virus-hôte, combinée à la biologie des virus à ARN, a permis d’évaluer la dépendance du virus vis-à-vis de protéines particulières chez l’Homme », indique Caroline Demeret, responsable du groupe Interactomique de l’unité Génétique moléculaire des virus à ARN (Institut Pasteur/CNRS/Université Paris Cité) à l’Institut Pasteur, et co-dernier auteure de l’étude.
L’équipe a ainsi développé des lignées cellulaires humaines délétées de gènes codant pour des protéines auxquelles les protéines du SARS-CoV-2 se lient. Les scientifiques ont observé que sur les 8 gènes testés, la suppression de 5 gènes provoque une réduction significative de la réplication virale, ce qui corrobore leur pertinence fonctionnelle. Parmi ces gènes, celui qui code pour la protéine USP25 a particulièrement attiré l’attention des scientifiques. « En utilisant une molécule qui bloque USP25 dans la cellule humaine, la réplication virale est très fortement réduite » indique Caroline Demeret. « Ceci donne des perspectives en termes de thérapie anti-virale. Nous prévoyons de rechercher des molécules qui empêchent cette interaction, ce qui ouvrirait la voie à des approches thérapeutiques plus ciblées. » ajoute-t-elle.
Enfin, les scientifiques ont observé que les interactions directes diffèrent selon les souches de SARS-CoV-2. Ces données suggèrent une certaine plasticité du contactome du SARS-CoV2 avec les protéines humaines. « Analyser ces interactions selon les variants du SARS-CoV-2 pourrait aider à évaluer le risque posé par les variants émergents. » conclut Caroline Demeret.
La cartographie des contacts directs entre protéines virales et protéines humaines appelée « contactome » servira de plateforme à la communauté scientifique pour l’étude approfondie des interactions identifiées, la compréhension de l’impact de ces dernières sur les mécanismes moléculaires et l’évolution clinique, et ainsi la découverte de points de départ à de nouvelles pistes thérapeutiques.
Source :
A proteome-scale map of the SARS-CoV-2–human contactome, Nature Biotechnology, 10 octobre 2022
Dae-Kyum Kim1,2,3,4,5,25, Benjamin Weller 6,25, Chung-Wen Lin6,25, Dayag Sheykhkarimli 1,2,3,4,25, Jennifer J. Knapp 1,2,3,4,25,Guillaume Dugied 7,8,9,25, Andreas Zanzoni 10, Carles Pons11, Marie J. Tofaute 12, Sibusiso B. Maseko13, Kerstin Spirohn 4,14,15 , Florent Laval 4,13,14,15,16,17, Luke Lambourne 4,14,15, Nishka Kishore1,2,3,4, Ashyad Rayhan1,2,3,4, Mayra Sauer6, Veronika Young 6, Hridi Halder6, Nora Marín-de la Rosa6, Oxana Pogoutse1,2,3,4, Alexandra Strobel6,Patrick Schwehn6, Roujia Li1,2,3,4, Simin T. Rothballer6, Melina Altmann6, Patricia Cassonnet7,8,9, Atina G. Coté1,2,3,4, Lena Elorduy Vergara6, Isaiah Hazelwood1,2,3,4, Betty B. Liu1,2,3,4, Maria Nguyen1,2,3,4, Ramakrishnan Pandiarajan6, Bushra Dohai6, Patricia A. Rodriguez Coloma6, Juline Poirson 1,2,18, Paolo Giuliana 1,2,3,4, Luc Willems16,17, Mikko Taipale 1,2,13, Yves Jacob 7,8,9, Tong Hao 4,14,15, David E. Hill 4,14,15,26, Christine Brun 10,19,26, Jean-Claude Twizere4,13,16,26, Daniel Krappmann 12,26, Matthias Heinig20,21,26, Claudia Falter6,26, Patrick Aloy11,22,26, Caroline Demeret7,8,9,26 , Marc Vidal4,14,26 , Michael A. Calderwood 4,14,15,26 , Frederick P. Roth 1,2,3,4,23,26 and Pascal Falter-Braun 6,24,26
1 Donnelly Centre for Cellular and Biomolecular Research (CCBR), University of Toronto, Toronto, Ontario, Canada.
2 Department of Molecular Genetics, University of Toronto, Toronto, Ontario, Canada.
3 Lunenfeld-Tanenbaum Research Institute (LTRI), Sinai Health System, Toronto, Ontario, Canada.
4 Center for Cancer Systems Biology (CCSB), Dana-Farber Cancer Institute, Boston, MA, USA.
5 Department of Cancer Genetics and Genomics, Roswell Park Comprehensive Cancer Center, Buffalo, NY, USA.
6 Institute of Network Biology (INET), Molecular Targets and Therapeutics Center (MTTC), Helmholtz Zentrum München, German Research Center for Environmental Health, Munich-Neuherberg, Germany.
7 Unité de Génétique Moléculaire des Virus à ARN, Département de Virologie, Institut Pasteur, Paris, France.
8 UMR3569, Centre National de la Recherche Scientifique, Paris, France.
9 Université de Paris, Paris, France.
10 Aix-Marseille Université, Inserm, TAGC, Marseille, France.
11 Institute for Research in Biomedicine (IRB Barcelona), Barcelona Institute for Science and Technology, Barcelona, Spain.
12 Research Unit Cellular Signal Integration, Institute of Molecular Toxicology and Pharmacology, Molecular
Targets and Therapeutics Center (MTTC), Helmholtz Zentrum München, German Research Center for Environmental Health, Munich-Neuherberg,Germany.
13 Laboratory of Viral Interactomes, GIGA Institute, University of Liège, Liège, Belgium.
14 Department of Genetics, Blavatnik Institute, Harvard Medical School, Boston, MA, USA. 15 Department of Cancer Biology, Dana-Farber Cancer Institute, Boston, MA, USA.
16 TERRA Teaching and Research Centre, University of Liège, Gembloux, Belgium.
17 Laboratory of Molecular and Cellular Epigenetics, GIGA Institute, University of Liège, Liège, Belgium.
18 Molecular Architecture of Life Program, Canadian Institute for Advanced Research (CIFAR), Toronto, ON, Canada.
19 CNRS, Marseille, France.
20 Institute of Computational Biology (ICB), Computational Health Center, Helmholtz Zentrum München, German Research Center for Environmental Health, Munich-Neuherberg, Germany.
21 Department of Informatics, Technische Universität München, Munich, Germany.
22 Institució Catalana de Recerca I Estudis Avaçats (ICREA), Barcelona, Spain.
23 Department of Computer Science, University of Toronto, Toronto, Ontario, Canada.
24 Microbe-Host Interactions, Faculty of Biology, Ludwig-Maximilians-Universität (LMU) München, Planegg-Martinsried, Germany.
25 These authors contributed equally: Dae-Kyum Kim, Benjamin Weller, Chung-Wen Lin, Dayag Sheykhkarimli, Jennifer J. Knapp, Guillaume Dugied.
26 These authors jointly supervised this work: David E. Hill, Christine Brun, Jean-Claude Twizere, Daniel Krappmann, Matthias Heinig, Claudia Falter, Patrick Aloy, Caroline Demeret,Marc Vidal, Michael A. Calderwood, Frederick P. Roth, Pascal Falter-Braun
https://doi.org/10.1038/s41587-022-01475-z