Selon l’OMS, plus de 5% de la population mondiale, soit 466 millions de personnes, souffre de déficience auditive incapacitante.
Si aujourd’hui la recherche a permis de faire d’énormes avancées dans le déchiffrage de la physiologie moléculaire de la cochlée, l’organe sensoriel de l’audition, les recherches de Nicolas Michalski portent sur la physiologie moléculaire des voies auditives du cerveau qui traitent l’information portée par les sons pour les interpréter.
Lorsque l'on entame une conversation sur l'audition avec Nicolas, on ne sait pas à quelle heure celle-ci peut se terminer. Car lorsqu'il parle de ses recherches c'est avec passion et il ne semble jamais tarir sur le sujet. Le système auditif, qui dans un premier temps pourrait sembler bien banal pour le néophyte, devient sous l'éclairage de ce scientifique une formidable machinerie biologique qui se distingue par la rapidité de son fonctionnement et sa très grande précision temporelle.
Nicolas a toujours eu un vif intérêt pour les sciences dans le but de comprendre comment fonctionne ce qui l'entoure avec un vif intérêt pour la physique-chimie et le fonctionnement de la "machine" du corps humain. Cette curiosité va le pousser, après le baccalauréat, à intégrer une classe préparatoire en physique-chimie pour accéder à l'École polytechnique. Quatre ans plus tard, son diplôme d’ingénieur obtenu, son intérêt pour la biologie le rattrape et il s'engage cette fois-ci dans un master, suivi d’une thèse en neurosciences.
Pour réaliser sa thèse, le choix, du laboratoire et de la question scientifique sont primordiaux, il s'agit d’engager toute son énergie sur une question bien précise durant quatre années de sa vie.
« Lorsque que j'ai rencontré, en 2003, Christine Petit, responsable de l’unité Génétique et physiologie de l’audition à l’Institut Pasteur, elle m’a immédiatement transmis le virus de la recherche. La cochlée avec son fonctionnement encore méconnu était la " machine biologique " qu’il me fallait pour assouvir mon goût pluridisciplinaire pour les sciences. »
Un laboratoire pionnier pour comprendre les déficits de l’audition
C'est dans ce laboratoire parisien, dans les années 90, qu’avaient été localisés sur les chromosomes humains les deux premiers gènes responsables de surdité congénitale profonde.
Depuis, cette même unité a montré, sur des modèles expérimentaux que l'audition pouvait être rétablie totalement par thérapie génique pour une forme génétique de surdité particulière ; un espoir qui pourrait un jour être applicable à l'homme.
Si les progrès scientifiques avancent à grands pas, il reste néanmoins encore des pistes fondamentales à explorer. Nicolas nous explique : « dans la majorité des formes génétiques de surdité, la perte auditive peut s’expliquer par un déficit d’origine cochléaire. » En comparaison, l’étude des formes génétiques de surdité a été moins informative sur le fonctionnement des voies auditives du cerveau ».
L’audition au-delà de la cochlée
L'implant cochléaire est un appareil neuroprosthétique qui permet de court-circuiter une cochlée défectueuse en stimulant directement le nerf auditif par des impulsions électriques. Dans la majorité des cas les personnes atteintes de surdité récupèrent une audition satisfaisante pour le langage parlé. Cependant, la réhabilitation auditive des personnes implantées n’est pas égale d’un patient à l’autre. Après une période de rééducation, certains patients (re)trouvent une communication satisfaisante mais pour d'autres, cela ne fonctionne pas aussi bien. C'est à partir de ce constat que Nicolas a souhaité explorer s’il n’existait pas dans certaines formes génétiques de surdité des atteintes auditives du cerveau qui seraient masquées par les atteintes cochléaires. Au-delà de la cochlée, comment l'information auditive est traitée par le cerveau ? Peut-on mettre en évidence des déficits dans les régions auditives du cerveau ?
Transmettre les connaissances acquises
Lors de sa thèse, Nicolas a étudié la transformation des ondes acoustiques en signal électrique par les cellules sensorielles auditives, c’est-à-dire la transduction mécano-électrique, et comment ce processus est modifié dans certaines formes génétiques de surdité. Puis, il a caractérisé les propriétés fonctionnelles des premiers relais synaptiques du système auditif de nouveau. Pour ce faire, sa technique de prédilection était le « Patch-clamp » qui mesure les courants électriques qui circulent à travers une cellule par des canaux ioniques.
Depuis 2019, il est responsable de son propre groupe, Plasticité des circuits auditifs centraux, dans lequel il dirige actuellement huit personnes.
« Une grande satisfaction dans le métier de chercheur est de transmettre ses connaissances auprès des étudiants, cela permet de poursuivre et d’enrichir un sujet que l’on a initié. Au fil des recherches, de nouvelles questions surgissent, ce qui implique aussi de nouvelles pistes de travail » , dit Nicolas avec enthousiasme.
À la recherche du chaînon manquant
En plus des atteintes auditives centrales dans les formes génétiques de surdité, l’équipe de Nicolas s’intéresse depuis peu au lien qui existe entre perte auditive et le risque de développer une maladie neurodégénérative. En effet, les études épidémiologiques montrent qu’une perte auditive sévère au milieu de la vie augmente le risque de développer une maladie neurodégénérative au cours du vieillissement jusqu’à sept fois plus élevé.
On n’explique pas aujourd’hui ce lien entre perte auditive et risque de maladie neurodégénérative. L’équipe de Nicolas étudie la possibilité que le système cérébrovasculaire soit le chaînon manquant.
Ces questions qui restent en suspens vont pouvoir être étudiées de près, car bientôt, c'est à l'Institut de l'Audition que Nicolas et une dizaine d'autres équipes de recherche vont emménager. Ce nouveau centre de l'Institut Pasteur, situé à Paris dans le 12ème arrondissement, va permettre de regrouper des équipes de chercheurs, des médecins-chercheur et d’audioprothésistes. L’institut bénéficiera également d’un centre médical d'exploration en audiologie humaine où la perception auditive de différentes cohortes de patients pourra être étudiée de façon approfondie.
« Grâce à cet Institut spécialisé, un lien très fort va pouvoir s’établir entre la recherche fondamentale et la recherche médicale. Les tests effectués serviront directement nos sujets de recherche et vice-versa pour améliorer la santé humaine » conclut-il.
Nicolas Michalski en quelques dates
Depuis 2019 : Responsable du groupe Plasticité des Circuits Auditifs Centraux à l’Institut de l’Audition, centre de recherche de l’Institut Pasteur (Paris, France), 63 rue de Charenton, Paris, France.
Février 2019 : Habilitation à Diriger des Recherches (HDR)
2016 : Prix « Emergence scientifique » décerné par la Fondation Pour l’Audition
2004-2008 : Doctorat dirigé par la Prof. Christine Petit (Institut Pasteur, Paris, France), Université Pierre et Marie Curie (Paris, France)
2003-2004 : Master en neurosciences, Université Pierre et Marie Curie (Paris, France)
2000-2003 : Diplôme d’Ingénieur, Ecole polytechnique (Palaiseau, France)