Les singes verts d’Afrique sont capables de vivre en étant infectés par le virus de l’immunodéficience simienne (SIV) sans jamais développer le sida. Leur astuce ? Eliminer directement les cellules infectées, sans provoquer une réaction inflammatoire que le virus pourrait utiliser à son profit.
Cet article est le premier d’une série consacrée aux espoirs de la recherche sur le VIH-sida, à l’occasion de la célébration des 40 ans de l’identification du virus. |
Le système immunitaire est composé d’une armée de cellules immunitaires, toutes très différentes les unes des autres. Il y a les lymphocytes B, producteurs des populaires anticorps, les lymphocytes T CD8 ou encore les lymphocytes T CD4, mais également des cellules appartenant à la première ligne de défense de l’organisme comme les macrophages et les cellules NK. Chez l’humain, toutes ces cellules se mettent en action pour tenter de maîtriser et d’éradiquer le VIH… très souvent en vain. Et pourtant, les cellules NK (Natural Killer en anglais), également connues sous le nom de cellules tueuses naturelles, sembleraient avoir certaines prédispositions pour y parvenir. En effet, ces cellules de l’immunité innée parviennent à contrôler le virus d’immunodéficience simienne (SIV) – virus à l’origine du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) – chez certaines espèces de singes.
Sur la piste des singes verts d'Afrique
C’est en suivant la piste des singes verts d’Afrique que la virologiste Michaela Müller-Trutwin, aujourd’hui responsable de l’unité HIV, inflammation et persistance à l’Institut Pasteur, a mis en lumière le potentiel sous-estimé des cellules NK. Tout commence dans les années 90, alors que la jeune chercheuse travaille à l’Institut Pasteur de Bangui (République centrafricaine) puis avec l’Institut Pasteur au Sénégal et le Centre Pasteur au Cameroun. « J’ai commencé à étudier les différents variants du VIH qui circulaient en Afrique centrale, indispensables à la mise au point de tests de PCR et à la recherche d’un vaccin efficace contre tous les variants, puis je me suis intéressée au réservoir animal à l’origine du VIH-1, retrace la chercheuse. Je me suis ensuite focalisée sur les singes verts d’Afrique, le plus grand réservoir de SIV d’Afrique subsaharienne, qui sont porteurs du virus mais ne tombent jamais malades. »
Des virus venus des singesDeux types de VIH sont connus : le VIH-1 et VIH-2, tous deux dérivant de virus de singes d’Afrique (SIV ou virus de l’immunodéficience simienne). Le VIH-1 est la souche la plus courante du virus, et elle sévit partout dans le monde. Le VIH-2 est moins virulent et moins transmissible que le VIH-1. On le retrouve en Afrique de l’Ouest, et dans d’autres pays comme l’Angola, le Mozambique, l’Inde, le Brésil ou Cuba. |
Une question s’impose alors à Michaela : pourquoi les singes verts d’Afrique sont-ils porteurs du virus sans jamais développer le sida ? Après avoir conçu des outils immunologiques et génomiques adaptés, ses recherches la conduisent à faire une première observation importante dans la compréhension de l’infection chez l’homme. Les singes verts, qui ne développent donc jamais la maladie, ne présentent pas non plus de signe d’inflammation. « On a identifié que chez les animaux qui s’infectent, le virus se réplique, devient persistant mais n’induit pas d’inflammation chronique, contrairement à ce qui se passe chez l’homme. Les singes qui restent en bonne santé sont aussi ceux qui arrivent à se protéger de l’inflammation », décrit Michaela Müller-Trutwin. Par la suite, les chercheurs mettront en évidence qu’en limitant précocement l’intensité de l’inflammation chez l’homme porteur du VIH, on diminue les risques de développer la maladie.
Des ganglions lymphatiques sous haute protection
Autre observation faite chez le singe vert d’Afrique : le virus est présent en grande quantité dans le sang de l’animal mais généralement absent des ganglions lymphatiques. « Je suis toujours frappée par cette idée qu’il y ait un contrôle spécifique en fonction des tissus, s’émerveille Michaela Müller-Trutwin. C’était complètement paradoxal et difficile à croire au début, jusqu’à ce que cela ait été confirmé chez une autre espèce de singe, le mangabey, à l’origine du VIH-2 ». En effet, en poussant les investigations, les chercheurs observent que le virus entre dans les ganglions puis disparaît. Comme si l’organisme du singe permettait au virus de circuler dans le sang mais réussissait à maîtriser la réplication virale au sein des ganglions lymphatiques, là où le virus se cache normalement et où il est peu atteignable chez les personnes pourtant sous traitement.
Mais quelle est l’origine de cette prouesse chez le singe vert ? Qu’est ce qui permet de contrôler aussi efficacement le SIV au sein même des ganglions ? La virologiste se lance sur les traces de ce redoutable défenseur, et après quinze ans de recherches, met la main dessus : il s’agit des cellules NK. « On n’y avait pas pensé tout de suite car les cellules NK font partie du système immunitaire inné, rappelle Michaela Müller-Trutwin. On pensait qu’elles jouaient plutôt un rôle au début de l’infection, avant que les réponses adaptatives ne se mettent en place, et non en phrase chronique. Par ailleurs, elles sont connues pour être peu nombreuses dans les ganglions normalement. On ne pensait pas que les réponses innées, seules, aient un rôle aussi important. »
Et pourtant, c’est le cas. Les cellules NK sont bel et bien capables de reconnaître et de tuer des cellules infectées, au sein des ganglions et plus précisément des follicules B ganglionnaires, principal réservoir viral chez l’homme. Le Graal pour les chercheurs.
Reconstruction en 3D de cellules CD4 infectées par le SIV : les virus apparaissent en rouge, les noyaux des cellules en gris, et les récepteurs CD4 en vert. Crédit: Institut Pasteur/Nicolas Huot
Stimuler les cellules NK pour lutter contre le VIH
Les résultats de cette découverte majeure sont publiés en 2017. « C’est une découverte importante car tous les chercheurs qui travaillent sur la guérison du sida tentent de trouver une façon de réduire les réservoirs viraux dans les ganglions et notamment dans les follicules B », souligne Michaela Müller-Trutwin. D’autres travaux de l’équipe pasteurienne montrent que souvent, chez l’humain, les cellules NK ne parviennent pas à finaliser correctement leur différenciation et sont dès lors incapables de tuer efficacement les cellules infectées, contrairement à ce qui se passe chez l’hôte naturel simien. « C’est un concept récent, en cours d’étude. Nous avons démontré, chez l’hôte naturel simien, que les cellules NK évoluent, se différencient, au cours de l’infection : elles n’arrivent pas à reconnaître les cellules infectées au début de l’infection mais y parviennent lorsque la maladie est en phase chronique. On pense qu’elles ont une mémoire des virus rencontrés et que cette mémoire est également liée à leur état de maturation », explique la chercheuse.
« On sait depuis longtemps que les cellules NK sont des actrices très importantes de l’immunité, mais on découvre qu’elles sont bien plus modifiables qu’on ne le soupçonnait, avec un aspect mémoire. Donc cela ouvre tout un champ pour l’immunothérapie dont nous ne disposions pas avant », se projette Michaela Müller-Trutwin. Des essais pré-cliniques menés en 2021 chez le macaque, singe modèle du sida, ont d’ailleurs mis en évidence qu’en stimulant la différenciation des cellules NK grâce à des interleukines, en présence d’antirétroviraux, on observait une réduction du réservoir viral dans les ganglions. D’autre part, un essai clinique (RHIVIERA01), piloté par deux cliniciens et le chercheur pasteurien Asier Sáez-Cirión, va débuter à l’Institut Pasteur en 2023 pour évaluer la capacité des cellules tueuses naturelles à aider les personnes vivant avec le VIH et ayant commencé un traitement précocement, à atteindre un état de rémission.
Lire le dossier de presse "40 ans après la découverte du VIH"