Alors que la COP 28 a abouti à un texte appelant à la “transition hors des énergies fossiles” avec pour objectif de limiter le réchauffement climatique, elle a également été pour la première fois le théâtre d'une journée dédiée à la santé. La hausse des températures mondiales, les phénomènes météorologiques extrêmes et la modification des écosystèmes ne sont pas de simples préoccupations environnementales. Ce sont les catalyseurs d’une épidémie silencieuse qui affecte la santé humaine. Parmi les principales menaces, les maladies transmises par les insectes, historiquement étudiées à l’Institut Pasteur, ou le passage de virus de l’animal à l’être humain.
« Aujourd’hui, nous en sommes à un point que les experts du GIEC avaient anticipé il y a 50 ans. La certitude du réchauffement climatique est une réalité. L’accélération des événements extrêmes [sécheresse, incendies... - NDLR], l’élévation du niveau de la mer, la fonte des glaciers, l’acidification des océans nous le confirment », a rappelé Jean Jouzel, paléoclimatologue, invité à l’Institut Pasteur le 28 novembre dernier autour de la problématique climat et santé (voir photo ci-dessous).
La 28e conférence de l’ONU sur le climat (COP28) s’est tenue à Dubaï du 30 novembre au 12 décembre 2023. Cette COP a réaffirmé l’objectif de limiter le réchauffement climatique à +1,5°C mais « si beaucoup de pays affichent l’objectif de la neutralité carbone d’ici à 2050, il y a d’énormes écarts entre les intentions et la réalité. Au rythme actuel, nous allons vers une hausse de 3°C d’ici la fin du siècle ! » a pondéré Jean Jouzel lors de sa rencontre à l’Institut Pasteur.
Au cours de cette COP 28, les pays réunis y ont examiné, pour la première fois, lundi 4 décembre 2023, les effets du dérèglement climatique sur la santé. Les vagues de chaleur, les pluies extrêmes, les sécheresses... « Tous ces événements extrêmes dus au réchauffement climatique ont des effets sur la santé humaine », souligne Valérie Masson-Delmotte, climatologue au CEA, experte du GIEC de 2015 à 2023, venue remettre le 8 décembre les diplômes aux doctorants formés à l’Institut Pasteur. Elle revient pour nous sur les plus néfastes de ces effets (voir vidéo ci-dessous).
Climat et santé : Valérie Masson-Delmotte, climatologue au CEA, experte du GIEC de 2015 à 2023, répond à nos questions :
- Quel est l'impact direct du changement climatique sur la santé humaine ?
- Y a-t-il des effets indirects sur la santé ?
- Comment agir face à ce changement climatique ?
- Comment la santé est-elle prise en compte par les experts du climat ?
Les conséquences du réchauffement climatique sur la santé sont nombreuses.
Parmi celles-ci :
L’hyperthermie
L’hyperthermie correspond à une élévation de la température du corps au-dessus des valeurs normales (entre 36,5 et 37,5°C), et souvent supérieure à 40°C. Elle est provoquée par une accumulation de chaleur notamment en cas d’insolation ou de canicule. Elle entraine une surmortalité et une exposition particulière pour les activités exercées en extérieur. En Europe, pas moins de 70 000 décès ont été causés par la chaleur pendant l’été 2022. Et la revue médicale Lancet avançait récemment que si notre monde devait se réchauffer de 2 °C au-dessus de la moyenne préindustrielle, le nombre de décès annuels dus à la chaleur serait multiplié par cinq !
La recrudescence des maladies infectieuses, défi sanitaire relevé par l’Institut Pasteur depuis sa création
La hausse des températures élargit l’habitat des animaux vecteurs de maladies tels que les moustiques et les tiques, de même que leur période d’activités. Ainsi, des régions jusque-là épargnées deviennent vulnérables à des maladies telles que le paludisme, la dengue, ou encore les maladies transmises par les tiques. La menace des maladies tropicales s’insinue dans de nouveaux territoires aux climats habituellement tempérés, mettant à l’épreuve les systèmes de santé et les populations les plus vulnérables pour faire face à ces crises sanitaires émergentes. « La durée saisonnière des maladies transmises par les moustiques va augmenter. Des maladies comme la dengue ou le chikungunya vont devenir des préoccupations majeures dans les pays du Nord », indiquait d’ailleurs l’épidémiologiste Arnaud Fontanet le 28 novembre dernier à l’Institut Pasteur.
À Paris, le cours d’entomologie (étude des insectes) médicale, dispensé à l’Institut Pasteur depuis 1988, forme encore aujourd’hui des experts du monde entier. Anna-Bella Failloux et Didier Fontenille, tous deux co-auteurs du livre Les moustiques, ennemis publics numéro #1, et experts reconnus du sujet, y ont d’ailleurs été formés.
Le projet de création d’un Centre des maladies à transmission vectorielle est en cours à l’Institut Pasteur. L’Institut y regroupera toutes ses équipes expertes des microbes, de leurs hôtes et des vecteurs. Ensemble, elles travailleront à élaborer des outils de diagnostic et de futurs vaccins ou traitements. Ainsi, ce centre unique participera à fédérer les équipes afin d’anticiper les futures épidémies et à réduire et contrôler les risques.
Outre les maladies à transmission vectorielle, les risques d’émergence de nouveaux virus vont être accrus par le rapprochement des animaux et des humains. Ces pathogènes passant des animaux à l’être humain sont ce que l’on appelle des zoonoses.
Vidéo "Zoonoses: comment une maladie peut passer de l'animal à un homme" avec Sarah Merkling, chercheuse au sein de l’unité Interactions virus-insectes de l’Institut Pasteur/CNRS.
« La déforestation en lien avec le réchauffement climatique va avoir comme conséquence des échanges accélérés de virus entre animaux et va donc augmenter le risque de pandémies », précise également Arnaud Fontanet. L’urbanisation croissante et l’augmentation des déplacements de population vont aussi favoriser la transmission des maladies émergentes.
L’impact psychologique des phénomènes liés au réchauffement climatique
Ouragans, inondations, incendies de forêt… Ces phénomènes ont des impacts importants sur la santé psychologique, qu’il s’agisse du traumatisme résultant du déplacement de populations, de la peur permanente de catastrophes récurrentes, ou de l’anxiété liée à la dégradation de l’état de la planète (“l’éco-anxiété”).
La pollution de l’air exacerbée par le changement climatique dans les zones urbaines
La pollution aérienne devient un facteur important de problèmes respiratoires de plus en plus fréquents. Les populations vulnérables, notamment les enfants et les personnes âgées, sont les plus touchées par ces problèmes de santé.
La pénurie et la contamination de l’eau
Dues à la modification des régimes de précipitations, la pénurie d’eau et sa contamination contribuent à l’augmentation des maladies d’origine hydrique. Le manque d’accès à l’eau potable, associé à la prévalence accrue des vagues de chaleur, entraîne la déshydratation et des maladies liées à la chaleur, en particulier dans les communautés vulnérables.
La sécurité alimentaire impactée par le changement climatique
Les changements de température et de précipitations perturbent les systèmes agricoles, entraînant malnutrition et maladies d’origine alimentaire. Les cultures de base devenant moins fiables, les communautés sont confrontées à des risques accrus de carences en nutriments.
Quelques publications récentes de l’Institut Pasteur sur “climat et santé” et, au-delà, autour des questions de sécurité alimentaire :
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Le moustique tigre capable de transmettre le virus du chikungunya à des températures tempérées
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Vision mondiale des déterminants des résistances aux antibiotiques
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Fièvre hémorragique de Crimée-Congo : notre fiche maladie souligne qu’avec le réchauffement climatique, l’aire de répartition de l’espèce vectrice va probablement s’étendre en France métropolitaine dans les prochaines années.
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Comment le microbiome des voies respiratoires influence la gravité des pneumonies bactériennes : l'explication de l’augmentation des cas de légionellose pourrait être liée au changement climatique (températures plus élevées de l'eau et inondations plus fréquentes).
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Santé alimentaire et antibiorésistance : une lutte contre Listeria et Salmonella
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Les centres nationaux de référence, des sentinelles face aux pathogènes
Une prise de parole d’experts de l’Institut Pasteur lors du colloque La ville du futur au Collège de France (30 nov. - 1er déc. 2023) :
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Philippe Sansonetti, microbiologiste et professeur à l’Institut Pasteur et au Collège de France : Évolution des écosystèmes microbiens sous la pression du changement climatique
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Didier Fontenille, directeur de recherche à l’IRD, ancien directeur de l’Institut Pasteur du Cambodge et formé au cours d’entomologie médicale de l’Institut Pasteur : La ville du futur, face au risque entomologique