La pandémie mondiale de SARS-CoV-2 a donné lieu à des réponses sans précédent, de nombreux pays touchés confinant les résidents chez eux. Tout comme le reste de l'Europe, la France a été durement touchée par l'épidémie et a mis en place des mesures de confinement depuis le 17 mars avec pour objectif de réduire significativement la circulation du virus dans la population. Pour mieux comprendre et gérer cette situation sanitaire inédite, il est essentiel de pouvoir estimer le niveau de circulation du virus dans la population, d’évaluer le risque de développer une forme grave de la maladie, et de disposer d’indicateurs de mesure de l'impact des efforts de lutte actuels. Des chercheurs de l’Institut Pasteur et du CNRS, en collaboration avec l’Inserm, la DRESS et Santé Publique France, ont réalisé une analyse détaillée des hospitalisations et des décès dus au COVID-19 en France et construit des modélisations à partir de ces données. Les chercheurs ont actualisé leurs estimations en utilisant une même modélisation. Les premiers résultats, pré-publiés le 21 avril 2020, suggéraient qu'environ 6% de la population française aura été contaminée par le SARS-CoV-2 au 11 mai. Après une mise à jour de la modélisation, les résultats suggèrent qu’entre 3% et 7% de la population française aura été contaminée par le SARS-CoV-2 au 11 mai. Le nombre de reproduction (R0), qui indique le nombre de personnes infectées par chaque malade, est passé de 2,9 en début de confinement à 0,7. Ces résultats ont fait l'objet d'une pré-publication sur le site des archives en ligne de l'Institut Pasteur le 21 avril. Ils ont été publiés dans la revue Science le 13 mai 2020.
Comme d’autres pays européens, la France paie un lourd tribut à l’épidémie de COVID-19 avec plus de 26 000 morts au 11 mai 2020. Le 17 mars, le gouvernement français a instauré le confinement pour tenter de stopper la propagation du virus et éviter une saturation des services de réanimation. Afin de définir la stratégie de sortie du confinement, il est important d’évaluer l’impact qu’a eu cette mesure sans précédent sur la transmission du virus SARS-CoV-2 et de mieux comprendre le risque de développer une forme sévère pour les personnes infectées par SARS-CoV-2. Il est également essentiel de connaitre le niveau d’immunité dans la population française pour évaluer le risque de seconde vague épidémique.
Afin de répondre à ces questions, des chercheurs de l’Institut Pasteur, en collaboration avec Santé Publique France et le CNRS, ont fait une analyse détaillée des hospitalisations et des décès COVID-19 en France. Ces données ne décrivent que les infections les plus sévères. Pour reconstruire l’évolution du nombre total d’infections en France, y compris les infections peu sévères, les chercheurs ont analysé les données d’hospitalisations françaises conjointement avec les résultats d’enquêtes épidémiologiques permettant de caractériser le risque de décès chez les personnes infectées par SARS-CoV2.
Ce travail d’intégration de données a été rendu possible grâce à l’utilisation d’outils de modélisation mathématique et statistique. « Dans un contexte de grande incertitude, ces analyses de modélisation permettent de mieux comprendre cette épidémie et l’impact du confinement sur la propagation de SARS-CoV-2 », explique Simon Cauchemez, responsable de l’unité Modélisation mathématique des maladies infectieuses à l’Institut Pasteur et dernier auteur de l’étude.
Les résultats montrent qu’en France, le risque d’hospitalisation est de 3,6% pour les personnes ayant été infectées par le SARS-CoV-2. Le taux de mortalité chez les personnes infectées est de l’ordre 0,7% (17% chez les hommes de plus de 80 ans). La probabilité de décès est 47% supérieure chez les hommes hospitalisés que chez les femmes hospitalisées.
L’analyse montre également que le confinement a eu un impact conséquent sur la transmission de SARS-CoV-2, en entraînant une réduction de 77% du nombre de reproduction de SARS-CoV-2. En effet, le nombre moyen de personnes infectées par un cas, le nombre R0, est passé de 2,90 à 0,67 pendant le confinement. Cela a conduit à une réduction du nombre journalier d’admissions en réanimation de 700 fin mars à 66 le 7 mai.
Le 11 mai, entre 3% et 7% des Français devraient avoir été infectés par le SARS-CoV-2, avec une proportion plus importante en Ile-de-France (entre 7% et 16%) et dans le Grand Est (entre 6% et 15%).
Ce niveau d’immunité est donc très inférieur au niveau nécessaire pour éviter une seconde vague si toutes les mesures de contrôle devaient être levées. En effet, l’immunité collective nécessaire est actuellement estimée à 66%. Par conséquent, des efforts importants devront être maintenus au-delà du 11 mai pour éviter une reprise de l’épidémie.
Mis à jour le 13 mai 2020
Source
Estimating the burden of SARS-CoV-2 in France, Science, 13 mai 2020
Henrik Salje1,2,3*, Cécile Tran Kiem,1,4,*, Noémie Lefrancq1, Noémie Courtejoie5, Paolo Bosetti1, Juliette Paireau1,6, Alessio Andronico1, Nathanaël Hozé1, Jehanne Richet5, Claire-Lise Dubost5, Yann Le Strat6, Justin Lessler3, Daniel Levy Bruhl6, Arnaud Fontanet7,8, Lulla Opatowski9,10, Pierre-Yves Boelle11, Simon Cauchemez1
- Mathematical Modelling of Infectious Diseases Unit, Institut Pasteur, UMR2000, CNRS, France
- Department of Genetics, University of Cambridge, Cambridge, UK
- Department of Epidemiology, Johns Hopkins Bloomberg School of Public Health, Baltimore, Maryland, USA
- Collège Doctoral, Sorbonne Université, Paris, France
- DREES, Ministère des Solidarités et de la Santé, Paris, France
- Santé Publique France, French National Public Health Agency, Saint-Maurice, France
- Emerging Diseases Epidemiology Unit, Institut Pasteur, Paris, France
- PACRI Unit, Conservatoire National des Arts et Métiers, Paris, France
- Epidemiology and Modelling of Antibiotic Evasion Unit, Institut Pasteur, Paris, France
- Anti-infective evasion and pharmacoepidemiology team, CESP, Université Paris-Saclay, UVSQ, INSERM U1018, Montigny-le-Bretonneux, France.
- Sorbonne Université, INSERM, Institut Pierre Louis d’Epidémiologie et de Santé Publique, Paris, France