S’appuyant sur des connaissances moléculaires, une analyse d’ampleur réalisée sur les dossiers médicaux d’environ 740 000 patients atteints du SARS-CoV-2 révèle les schémas thérapeutiques des pandémies virales actuelles voire futures. Étude publiée le 15 octobre dans la revue Science.
Dans une étude publiée ce jour sur le site Web de la revue Science, une équipe internationale de près de 200 chercheurs issus de 14 institutions de renom dans six pays, dont la France avec l’Institut Pasteur et le CNRS, révèle s’être penchée sur les trois coronavirus mortels SARS-CoV-2, SARS-CoV-1 et MERS-CoV afin d’identifier leurs voies cellulaires détournées communes et donc des cibles prometteuses pour leur inhibition. Par ailleurs, s’appuyant sur les connaissances moléculaires acquises grâce à cette étude pluridisciplinaire systématique des coronavirus, le groupe a analysé les dossiers médicaux d’environ 740 000 patients atteints du SARS-CoV-2, dont les caractéristiques ont modifié l’issue clinique, afin de mettre au jour des thérapies validées au potentiel de déploiement rapide. Les résultats de leur étude montrent comment les informations moléculaires peuvent être traduites concrètement aux fins du traitement de la COVID-19 : une approche susceptible d’être appliquée in fine à d’autres maladies.
« Cette étude internationale d’ampleur décrypte pour la première fois les similitudes et, surtout, les vulnérabilités des coronavirus, y compris le SARS-CoV-2 à l’origine de la pandémie qui nous frappe actuellement », déclare le Dr Nevan Krogan, directeur du Quantitative Biosciences Institute (QBI) de la School of Pharmacy de l’université de Californie (UCSF), à San Francisco, chercheur principal aux Gladstone Institutes et chercheur principal de l’étude. « En effet, nous sommes parvenus à rapprocher les connaissances biologiques et fonctionnelles des résultats cliniques et ainsi fournir un modèle de recherche inédit applicable à n’importe quelle maladie, ainsi qu’à identifier rapidement des traitements prometteurs et faire progresser les savoirs dans les domaines de la science et de la médecine. Ces travaux n’auraient pu se faire sans la collaboration de chefs de file de la science et d’équipes de chercheurs de nouvelle génération d’institutions internationales de premier plan. »
Cette collaboration a vu la participation aux recherches de scientifiques des sphères académique et privé de l’UCSF, du QBI Coronavirus Research Group (QCRG), des Gladstone Institutes, de l’Institut européen de bioinformatique du LEBM (EMBL-EBI), à Cambridge, en Angleterre, de l’Université de Géorgie, aux États-Unis, de l’Icahn School of Medicine du Mount Sinai, à New York, de l’Institut Pasteur et du CNRS, à Paris, du pôle d’excellence CIBSS de l’Université de Fribourg, en Allemagne, de l’Université de Sheffield, au Royaume-Uni, etc., et des sociétés Aetion, fabricant de logiciels d’analyse de données réelles, et Synthego, spécialiste de l’ingénierie des génomes.
Révélations scientifiques d’une étude inter-coronavirus du fonctionnement des protéines
S’appuyant sur leurs précédents travaux publiés dans les revues Nature et Cell, les chercheurs ont étudié de manière approfondie les coronavirus SARS-CoV-2, SARS-CoV-1 et MERS-CoV en adoptant des approches biochimiques, protéomiques, génétiques, structurales, bioinformatiques, virologiques et d’imagerie pour identifier les processus cellulaires et les protéines cibles qu’ils conservaient. L’équipe s’est fondée sur la carte des interactions des protéines virales du SARS-CoV-2 avec les protéines de la cellule hôte humaine cible, appelée « interactome », pour établir celles des interactions protéine-protéine du SARS-CoV-1 et du MERS-CoV, mettant en évidence plusieurs processus cellulaires clés, communs aux trois coronavirus. Ces cibles protéiques et voies communes constituent des cibles hautement prioritaires pour les interventions thérapeutiques dans le cadre de la pandémie actuelle et des futures.« Déployant des efforts considérables depuis l’apparition du SARS-CoV-2, nous avons uni les forces individuelles de chaque organisation pour sonder la biologie et les activités fonctionnelles de ces virus et tenter d’exploiter leurs faiblesses », indique le Dr Veronica Rezelj de l’Institut Pasteur[1]. « Dans notre dernière étude, nous avons étoffé notre base de connaissances en nous penchant sur deux autres coronavirus et en décryptant les mécanismes inter-virus propices à d’éventuelles interventions thérapeutiques. »
Compréhension structurale d’une interaction unique entre la protéine virale Orf9b et la protéine humaine Tom70, qui appuie normalement la réponse immunitaire antivirale
Fait intéressant, l’équipe a découvert que la protéine Tom70 de la membrane externe mitochondriale interagissait avec la protéine Orf9b du SARS-CoV-1 ET du SARS-CoV-2. La protéine Tom70 est normalement impliquée dans l’activation de la protéine de signalisation antivirale mitochondriale (MAVS) et indispensable à une réponse immunitaire innée antivirale. Orf9b, en se liant au site de reconnaissance du substrat de Tom70, inhibe l’interaction de Tom70 avec la protéine de choc thermique 90 (Hsp90), essentielle à sa fonction dans la voie interféron et à l’induction de l’apoptose lors de l’infection virale.
Dans le cadre d’une collaboration de plus d’une soixantaine de chercheurs du QCRG, dirigé par Klim Verba et Oren Rosenberg, du QBI, la structure de la protéine Orf9b liée au site actif de Tom70 a été déterminée par cryo-microscopie (cryoEM) avec une résolution remarquable de trois angströms. Fait rare et exceptionnel, il a été observé que la protéine Orf9b formait un dimère et, structurellement, un feuillet bêta, lorsqu’elle était seule, mais une hélice alpha lorsqu’elle était liée à Tom70. L’image structurale des protéines liées a permis aux chercheurs de découvrir qu’un résidu clé dans l’interaction avec Hsp90 s’était déplacé, suggérant que la protéine Orf9b peut moduler des aspects majeurs de la réponse immunitaire, l’interféron et la signalisation de l’apoptose via Tom70. L’importance fonctionnelle et la régulation de l’interaction Orf9b-Tom70 réclament un décryptage expérimental plus approfondi. Cette interaction, conservée entre le SARS-CoV-1 et le SARS-CoV-2, pourrait toutefois se révéler précieuse comme cible thérapeutique pan-coronavirus.
Voies cibles pour d’éventuelles thérapies cliniquement approuvées
S’appuyant sur les interactomes des trois coronavirus, l’équipe a exploité les techniques d’interférence ARN (ARNi) et CRISPR pour invalider les protéines hôtes supposées de chaque virus et étudié comment la perte de ces protéines modifiait la capacité du SARS-CoV-2 à infecter les cellules humaines. Ils ont déterminé que 73 des protéines étudiées jouaient un rôle important dans la réplication du virus et se sont basés sur cette découverte pour prioriser l’évaluation de candidats médicaments. Parmi ces derniers figuraient le récepteur de la molécule de signalisation inflammatoire IL-17, identifié dans de nombreuses études comme un indicateur notable de gravité de la maladie, la prostaglandine-E synthase 2 (codée par PGES2), qui interagit fonctionnellement avec la protéine Nsp7 dans les trois virus, et le récepteur sigma-1, un interacteur de la protéine Nsp6 du SARS-CoV-1 et du SARS-CoV-2, dont le groupe a précédemment montré qu’il était une cible médicamenteuse prometteuse en laboratoire.
Fort de ces connaissances, le groupe a réalisé une analyse rétrospective des données de facturation médicale d’environ 740 000 personnes présumées ou testées positives au SARS-CoV-2.
En ambulatoire, les patients SARS-CoV-2 positifs à qui il avait été prescrit dans ce cadre de l’indométacine, un anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) qui cible la PGES-2, présentaient un risque moindre d’hospitalisation que les patients appariés recevant du célécoxib, un AINS qui ne cible pas la PGES-2.
Se fondant toujours sur les données de facturation médicale, le groupe a comparé, en milieu hospitalier, l’efficacité de l’antipsychotique typique halopéridol, qui montre une activité contre le récepteur sigma-1, à celle d’antipsychotiques atypiques, qui n’en montrent pas. Il a été constaté que les nouveaux patients sous antipsychotique typique ont été deux fois moins nombreux à évoluer vers une ventilation mécanique que les nouveaux patients sous antipsychotiques atypiques. Les antipsychotiques typiques peuvent avoir des effets indésirables conséquents, mais d’autres médicaments ciblant le récepteur sigma-1 existent ou sont en cours de développement.
« Il est primordial de préciser que les patients prenant ces composés font l’objet d’études non interventionnelles à petite échelle », commente le Dr Krogan. « Elles n’en sont pas moins de remarquables exemples de la manière dont les connaissances moléculaires peuvent rapidement soulever des hypothèses cliniques et contribuer à prioriser les candidats à des essais cliniques prospectifs ou au développement de futurs médicaments. Une analyse attentive des bénéfices et risques relatifs de ces traitements doit être effectuée avant d’envisager la moindre intervention ou étude prospective. »
« Ce type d’analyse montre comment les informations biologiques et moléculaires sont traduites concrètement aux fins du traitement de la COVID-19 et d’autres maladies virales », indique le Dr Pedro Beltrao, chef de groupe à l’Institut européen de bioinformatique du LEBM. « Après plus d’un siècle de coronavirus relativement inoffensifs, nous avons connu, ces 20 dernières années, trois coronavirus mortels. L’observation des espèces nous permet de prédire les thérapies pan-coronavirales susceptibles d’être efficaces contre la pandémie actuelle voire également prometteuses contre un futur coronavirus. »
[1] Unité Populations virales et pathogenèse (Institut Pasteur / CNRS)
Source
Comparative Host-Coronavirus Protein Interaction Networks Reveal Pan-Viral Disease Mechanisms, Science, 15 octobre 2020