« Dans la vie, rien n’est à craindre, tout est à comprendre ». Cette citation de Marie Curie pourrait bien résumer la philosophie et le parcours de Sarah Dellière. Déterminée, optimiste et aventurière, elle aime sortir de sa zone de confort pour vivre de nouvelles expériences et aiguiser toujours et encore ses connaissances.
Dès l’âge de 17 ans, cette jeune femme a entrepris des stages et formations aux quatre coins du monde : aux Etats-Unis, à l’hôpital de Bogota en Colombie, aux urgences de Phnom Penh au Cambodge ou encore à l’université McGill à Montréal, au Canada… Dotée d’une double qualification de médecin et de chercheuse, Sarah Dellière souhaite apporter ses connaissances cliniques pour faire avancer la recherche en mycologie.
Le Journal de Mickey ou la peste noire ?
Sarah Dellière est née dans un petit village près de Saint-Nazaire. Sa mère était institutrice et son père médecin généraliste. L’ambiance à la maison était stimulante et permissive : la télévision était accessible, mais la seule chaîne disponible était une chaîne de dessins animés en version anglaise. Les champs autour de sa maison constituaient un terrain de jeu incroyable, pour une exploratrice équipée d’un couteau suisse, d’une boite à insecte et d’un goûter dans son sac à dos à condition de ne pas trop s’éloigner. C’est dans cet environnement que Sarah a grandi et a décidé, très jeune, de devenir médecin à son tour.
Ses parents s’amusent encore aujourd’hui de cette anecdote : la première fois que Sarah a eu le droit d’aller chercher seule un magazine au point presse du coin, elle n’a pas rapporté le journal de Mickey mais un numéro de Sciences et vie Junior spécial « Peste au Moyen âge ». Chercher à comprendre l’infectiologie est vite devenue son « hobby ».
A l’adolescence, elle conclut que l’étude de la médecine sera insuffisante pour répondre à toutes les questions du vivant ; elle se met à envisager aussi une carrière de chercheuse.
Puis, du haut de ses quinze ans, elle se persuade que la France n’est pas forcément le bon endroit pour faire de la recherche biomédicale.
L’Amérique : jeu, set et match
Avant l’obtention du baccalauréat, elle trouve un organisme, ISP Academy, qui lui propose une bourse académique et sportive pour intégrer une université américaine. A dix-sept ans, le bac en poche, départ pour le New-Jersey. Ses résultats scolaires sont excellents et elle fera partie de l’équipe de tennis de l’université de Fairleigh Dickinson où elle commence une licence de biologie, requise pour l’inscription en médecine aux USA. Elle consacre trois heures par jour à l’entrainement physique et à la pratique du tennis, sans compter les matchs du week-end.
Je n’allais clairement pas devenir tenniswoman professionnelle, il y avait des filles bien plus fortes que moi. L’université m’avait choisie principalement pour mes très bons résultats scolaires qui relevaient le niveau de l’équipe.
A la fin de l’année, elle se rapproche des conseillers de la prestigieuse université de Columbia. Il faut anticiper des frais de scolarité de 50 000 dollars par an pour l’école de médecine et aucun prêt n’est concédé aux étrangers…
La France a des atouts… mais les voyages forment la jeunesse
Qu’à cela ne tienne ! Retour en France où elle s’inscrit en médecine à Nantes, qu’elle complète par un master 1 en microbiologie. Elle réalise son internat en microbiologie à Paris à l’APHP et prend une année de césure pour effectuer un master 2 d’infectiologie-immunologie, option mycologie, à l’Université Paris Descartes. Après plusieurs semaines de cours théoriques et de TP, elle s’envole de nouveau pour effectuer un stage de recherche de 10 mois à l’Université McGill au Canada (au sein de l’équipe du Dr Don Sheppard) sur son champignon de prédilection : Aspergillus fumigatus.
Studieuse et baroudeuse, Sarah profite de ses congés pour s’investir dans de nouvelles expériences. Elle part dans la région d’Andhra Pradesh (Inde) pour une mission de solidarité internationale. D’orphelinats en orphelinats, elle présente des scénettes de théâtre aux enfants pour les sensibiliser aux maladies infectieuses et aux soins de premiers secours. Déterminée et curieuse, elle s’engage aussi pour des stages en infectiologie à l’hôpital de Bogotá, en Colombie, ou aux urgences de l’hôpital Calmette de Phnom Penh au Cambodge.
Etudier des champignons potentiellement mortels
Depuis 2020, elle se consacre à une thèse de sciences à l’Institut Pasteur pour tenter de comprendre les mécanismes sous-jacents entre l’immunité humaine et le champignon Aspergillus fumigatus. Sarah a soutenu sa thèse de science en septembre 2023.
A ce jour, elle partage son temps entre l’Institut Pasteur et l’hôpital, où elle réalise des diagnostics en parasitologie ou en mycologie.
Les champignons Aspergillus, danger mortel ou non ? En microbiologie, il y a quatre grandes familles de pathogènes pour l’être humain : les bactéries, les virus, les parasites et moins connus : les champignons. Dans l’environnement, des champignons tels que les Aspergillus fumigatus sont omniprésents, participent à la dégradation de la matière morte et ils cohabitent très bien avec le système immunitaire de l’être humain. Mais lors d’une greffe ou lorsqu’un patient est immunodéprimé et plus récemment les patients avec une forme sévère de la Covid-19, ce champignon s’avère mortel, dans environ 50 % des formes invasives. Dans un premier temps, il colonise les poumons, puis se multiplie et pour finir, il s’attaque aux tissus et les détruit. Par ailleurs, pour protéger les récoltes, l’agriculture a usé de fongicides et certaines souches d’Aspergillus fumigatus, champignon pourtant inoffensif pour les cultures, sont devenues résistantes. Les fongicides aujourd’hui utilisés pour les patients n’ont plus la même efficacité. |
A l’Institut Pasteur, elle s’inspire des problèmes qu’elle rencontre à l’hôpital pour nourrir ses travaux. Grace à cette approche translationnelle, elle a pu comparer des échantillons de patients non-infectés et infectés. Ses observations ont mis en évidence que certaines protéines de l’immunité des patients infectés était manquante en comparaison aux autres.
Les questions auxquelles elle tente de répondre aujourd’hui sont :
- Le champignon est-il capable de détruire ces protéines de l’immunité ?
- Le système immunitaire du patient était-il défaillant avant l’infection ?
- Ces protéines sont-elles totalement consommées lors de l’interaction entre le système immunitaire et le pathogène et en quantité insuffisante ?
Une de ces protéines, la protéine du surfactant D, permet d’inhiber la croissance du champignon et stimule la réponse immunitaire inflammatoire contre ce dernier. Cette protéine secrétée par nos cellules alvéolaires sert de façon primaire à maintenir la pression au niveau des alvéoles pulmonaires afin d’éviter qu’elles se collabent et nous permet de respirer. Elle est déjà utilisée chez les nourrissons prématurés pour leur permettre de mieux respirer. Elle n’est pas toxique et son utilisation pourrait être efficace en inhalation, soit en thérapie adjuvante, soit en prévention/prophylaxie chez les patients très immunodéprimés à risque de développer une aspergillose invasive. Aujourd’hui, Sarah et son équipe tentent d’élucider le mécanisme antifongique exact de cette molécule et envisage la possibilité d’essais thérapeutiques dans un futur proche.
Une double expérience au labo et à l’hôpital, utile aux patients
Sarah s’attaque également aux problèmes de résistance issue de l’environnement. Elle est investigatrice française au sein d’un groupe de 6 chercheurs européens. Ce projet vise à développer des techniques de diagnostic rapide, exhaustif et accessible ainsi qu’à identifier les mécanismes de résistances inconnues.
C’est une grande chance pour moi de pouvoir mener des recherches à l’Institut Pasteur. Ici, je peux bénéficier de plateformes techniques incroyables : les plateformes Biomics, de protéomique, d’imageries, de biophysique moléculaire ou de RMN sont des atouts exceptionnels, dans un domaine toujours plus complexe. Les personnes qui y travaillent sont des experts et ils sont toujours prêts à nous accompagner. Nombre de mes projets n'auraient pas vu le jour sans eux.
Dans le laboratoire de Vishukumar Aimanianda, expert de la physiopathologie des microorganismes fongiques, Sarah souhaite pour la suite de son travail que leurs connaissances respectives, fondamentales et cliniques, puissent être mutualisées au bénéfice des patients.
J’ai conscience que je n’aurais jamais les compétences pointues d’un chercheur fondamental, ni l’expérience de terrain d’un médecin hospitalier temps-plein. Mais j’espère pouvoir faire le pont entre les deux mondes grâce à une vision globale de ce dont nous avons besoin pour répondre aux challenges que posent les infections. J’espère pouvoir transmettre cette passion aux jeunes chercheur·euses et médecins que j’encadre et lors de mes enseignements et qui sait, peut-être aussi à Lou, ma fille de 5 ans en lui racontant des histoires de physiopathologie à la sauce « Il était une fois … la vie » avant de dormir !
Sarah Dellière en quelques dates
2023 : Maître de conférence universitaire
Praticien hospitalier, parasitologie et mycologie à l’hôpital Saint-Louis (AP-HP, service du Pr Alanio)
Chercheuse dans l’unité Immunobiologie d’Aspergillus à l’Institut Pasteur
2020-23 : Thèse en microbiologie, Directeur : Dr Vishukumar Aimanianda : « Rôle des médiateurs solubles de l’immunité anti-Aspergillaire »
2014-2019 : Internat en microbiologie à l’AP-HP
2019 : ESCMID* Summer School 2019 – Liverpool, Royaume-Uni
2018 : Molecular Mycology Course – Woods Hole, MA, USA
2016-17 : Master 2 mention Infectiologie : Microbiologie, virologie, immunologie – (Option mycologie) à l’Université Paris Descartes
2012-13 : Master 1 Sciences, Technologies et Santé mention Biologie-Santé à l’Université de Nantes
2014 : Stage de Maladies infectieuses (2 mois) Clinica Colombia, Bogotá, Colombie
2012 : Stage de Médecine d’urgence (2 mois) Hôpital Calmette, Phnom Penh, Cambodge
2007-08 : Licence biologie - Fairleigh Dickinson University, Teaneck, NJ, USA. Première année (Bachelor in Science). Bourse académique et sportive.