Javier Pizarro-Cerda a reçu en héritage la curiosité, le goût pour la biologie et les sciences et accessoirement une passion inaltérable pour la musique ! Après ses années de formation au Costa-Rica, il est parti rejoindre l’Europe pour devenir chercheur.
Aujourd’hui, à l’Institut Pasteur de Paris, ses activités de recherche sur la peste et autres yersinioses s’inscrivent dans la lignée de ses prédécesseurs et interrogent aussi l’histoire des grandes épidémies meurtrières qui ont sévi par le passé. Héritier, puis à son tour passeur, Javier aime transmettre et partager ses connaissances aux futures générations de chercheurs.
Hommage à son pays : le Costa-Rica
Javier est né à San José dans la capitale du Costa-Rica. Il se souvient d’une nature exubérante qu’il se plaisait à observer. Dans le jardin de la maison familiale, il y avait chaque jour la visite d’oiseaux chatoyants, des colibris, des pinsons multicolores, des motmots…Le Costa-Rica recense à lui seul plus de 800 espèces d’oiseaux, plus que toutes les espèces de l’Amérique du Nord et de l’Europe réunis !
Cette fantastique biodiversité lui a donné le goût d'étudier la biologie et les sciences du vivant.
" En famille, nous partions le dimanche sur des volcans à 3300 mètres, en route pour ces excursions nous rencontrions une faune sauvage, nous pouvions croiser des coatis, des agoutis, des tatous, des paresseux, ou encore, des singes. La végétation était luxuriante : fougères géantes, flamboyants, manguiers et orchidées... Nous pouvions aussi nous rendre à l’ouest sur la côte Pacifique ou à l’opposé, à l’est, côté Mer des Caraïbes. "
La science et la musique en héritage
Le père de Javier exerçait la profession de médecin pédiatre à San José. Il a également fait de la recherche, puisqu’il cherchait une solution thérapeutique pour réhydrater des enfants touchés par de graves infections intestinales. Javier se souvient que son père recevait alors des articles scientifiques par voie postale.
"J’étais intrigué par ces courriers, les timbres provenaient d’Italie, de Hongrie ou d’ailleurs... Cela me faisait voyager ! "
Finalement, son père a mis au point une solution et elle est encore utilisée aujourd’hui en Amérique latine, connue sous le nom de « Solution Pizarro ».
La mère de Javier travaillait dans une agence bancaire. Lors de ses temps libres, elle s’accompagnait à la guitare pour chanter des airs latino-américains et Javier a hérité aussi de cette passion. La musique et la pratique de toutes sortes d’instruments l’ont toujours accompagné où qu’il aille ! À l’Institut Pasteur, avec des collègues latino-américains, il a fondé le « Music Lab ». Dans cet espace partagé, les Pasteuriens se réunissent pour jouer ensemble de la musique ! Et il n’a pas hésité à mettre à disposition ses propres instruments de musique pour initier cette nouvelle aventure. Lors des moments de convivialité, sur le campus parisien, il se plaît, avec ses collègues, à interpréter des standards du jazz à la guitare, ou accompagner à la contrebasse des riffs endiablés de Chuck Berry !
Dépasser les frontières, s’ouvrir à une communauté scientifique internationale
De l’intérêt pour la biologie, Javier passe à la microbiologie et se forme à l’Université du Costa Rica. Les cours sur l’évolution et la génétique font partie de ses enseignements qu’il a préférés. Il suit également des cours de français, à l’Alliance française.
La France, pour l’Amérique latine, est de longue date un pays inspirant, pour ses valeurs, sa culture et ses arts.
Après l’université, Javier entre à l’école de médecine vétérinaire. Avec le docteur Edgardo Moreno, il entame son travail sur des maladies bactériennes. Pour cette activité, il collabore avec des laboratoires et chercheurs du Centre d’Immunologie de Marseille-Luminy.
Á 26 ans, départ pour l’Europe ! Javier rejoint l’équipe de Marseille pour entreprendre une thèse. Son équipe collabore notamment avec Philippe Sansonetti, un éminent scientifique de l’Institut Pasteur.
Pour son post-doctorat, il rejoint l’équipe de Pascale Cossart, puis il devient chargé de recherche.
« Lorsque je suis arrivé à l’Institut Pasteur, lors des réunions, les scientifiques me regardaient bizarrement ; je parlais français avec l’accent du Costa-Rica mêlé à celui de Marseille. »
« Avec Pascale, nous avions des interactions intenses et transparentes. Nous avons publié des résultats marquants, dont celui concernant la sécrétion d’un antibiotique naturel par la bactérie Listeria. »
Devenir Pasteurien, un nouvel héritage …
En 2017, il prend la direction de l’unité Yersinia et du centre collaborateur avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour la peste, où ses équipes travaillent notamment sur la peste bubonique et pulmonaire.
Une semaine après sa prise de fonction, l’OMS lance une alerte internationale pour déclarer la pire épidémie de peste, jamais vue depuis plus de cent ans, à Madagascar.
L’équipe part sur place renforcer les capacités diagnostiques de la peste, et elle contribue à caractériser les souches de la bactérie Yersinia pestis responsable de l'épidémie, en collaboration avec les collègues de l’Institut Pasteur de Madagascar.
Sur les pas de leurs prédécesseurs, Javier et ses équipes travaillent actuellement sur la mise au point d’un vaccin contre la peste bubonique : les résultats ont déjà montré 100 % de réussite chez le modèle murin et un brevet a même été déposé.
En 2022, ils ont également collaboré à d’étonnants travaux de génétique comparative sur la peste noire qui a sévi en Europe, au Moyen Âge. Les chercheurs ont souhaité comprendre si le bacille de la peste aurait sélectionné chez l'être humain des gènes protecteurs contre cet agent pathogène. Ils ont ainsi analysé des échantillons d’ADN anciens extraits des restes d’individus décédés avant, durant ou après cette pandémie dévastatrice. Les résultats de ces recherches ont mis en lumière une variabilité génétique chez les individus qui ont pu survivre et qui perdure encore aujourd’hui dans nos gènes. Ces travaux montrent également que la peste noire aurait façonné l’évolution des gènes de l’immunité, déterminant notre réponse actuelle aux maladies auto-immunes.
La peste est un sujet passionnant parce qu'il fait appel à des connaissances diverses : la microbiologie et la santé publique (où notre unité a des expertises) mais aussi la génétique des populations humaines, la paléogénomique ou l'histoire, et nous avons la chance d'interagir avec des collègues experts dans ces disciplines qui nous font voyager dans le temps et dans l'histoire de l’humanité.
Leur laboratoire héberge le Centre National de Référence Peste et autres yersinioses, qui sont des infections intestinales causées par d’autres bactéries du genre Yersinia.
En effet, parmi les 26 espèces existantes de Yersinia, 3 sont pathogènes pour l’homme.
Il y a donc Yersinia pestis qui est l’agent responsable de la peste bubonique ou peste noire.
Mais aussi Yersinia pseudotuberculosis et Yersinia enterocolitica, responsables de yersinioses entériques.
Ces bactéries sont présentes dans le monde entier et elles sont responsables d’entérites plus particulièrement dans les pays tempérés. Elles sont la 3e cause d’entérites bactériennes en France et en Europe. Leur transmission se fait principalement par voie oro-fécale, après ingestion d'aliments contaminés.
Les chercheurs travaillent à répondre à ces deux questions :
- Comment les bactéries qui causent les yersinioses entériques circulent en France ?
- Quelles sont les sources de contamination pour les humains ?
“Au-delà de mon rôle de chercheur, j’apprécie de pouvoir transmettre des connaissances aux nouvelles générations de scientifiques. J’ai contribué à des cours pratiques et théoriques en France, en Argentine, au Costa Rica, en Grèce et en Chine. J’ai aussi participé, en France, aux événements “Pint of Science”, qui ont pour but de sortir la science des laboratoires et de favoriser la rencontre avec le grand public le temps d’une soirée. “
Javier Pizarro-Cerda en quelques dates
1990 et 1994 : B.Sc. et M.Sc. diplômes de l'Université du Costa Rica
1995 et 1998 : D.E.A. et Doctorat de l'Université d'Aix-Marseille, laboratoire de Jean-Pierre Gorvel
1998 : Prix National Costaricain pour la Science 'Clodomiro Picado-Twight'
1999-2017 : Post-doctorat puis chargé de recherche dans l'unité d’Interactions bactéries-cellules, dirigée par Pascale Cossart à l'Institut Pasteur de Paris
2012 : Membre de l'Académie Costaricaine des Sciences
2015 : Médaille du Sénat du Sénat français pour sa contribution à favoriser les interactions entre France et Amérique latine.
2016 : Responsable du groupe « Biologie des systèmes des infections bactériennes » et est promu directeur de recherche.
2017 : Prix Georges, Jacques et Elias Canetti, Institut Pasteur
Au cours de sa carrière, Javier Pizarro-Cerda a développé ses recherches en tant que chercheur invité dans différents laboratoires internationaux dont le Center for Microscopy & Microanalysis (Université du Queensland, Australie), le Weizmann Institute of Science (Rehovot, Israël), l'Université du Texas-Southwestern (Dallas, USA), l'Institut Max Planck de biologie des infections (Berlin, Allemagne) et le Biozentrum (Bâle, Suisse).