Qui est vraiment celui que l’on appelle « deuxième cerveau » ? Que savons-nous de lui aujourd’hui, et quelles applications médicales en découlent ? Cinq chercheurs et chercheuses ont abordé ces questions lors de la conférence publique « Le microbiote intestinal : vers de nouvelles pratiques en matière de santé ». Elle était organisée à l’Institut Pasteur dans le cadre de la Semaine du cerveau.
Tous scrutent le microbiote, chacun à sa manière. De l’immunologie aux neurosciences en passant par l’addictologie, les cinq scientifiques présents à l’Institut Pasteur, le 16 mars 2024, ont confié leur fascination pour cet écosystème microbien qui tapisse l’intérieur de notre intestin. Les liens entre le microbiote intestinal et la santé globale sont multiples et complexes – et encore à explorer. C’est parti pour un tour d’horizon de l’état de la recherche sur le microbiote.
Un micro-monde ultrasensible
Benoît Chassaing commence par les présentations. Il est directeur de recherche en microbiologie à l’Inserm : « Nous avons un microbiote de la peau, de la bouche, du vagin, des poumons… Mais l’intestinal est le plus peuplé. » Il est composé de 100 000 milliards de microorganismes. « Dans un gramme de matière fécale, on en trouve autant que le nombre d’habitants sur Terre ! »
Cette communauté de microbes est extrêmement complexe, dans sa composition comme son organisation : différents groupes (virus, champignons, archées, protistes et bactéries, les plus nombreuses), des interactions multiples entre eux et avec l’environnement. Un microbiote riche et varié est en bonne santé. Mais l’alimentation, la prise d’antibiotiques, le stress, la contamination par des polluants… peuvent l’appauvrir et, à la longue, le déséquilibrer (« dysbiose »). C’est là que des troubles ou des pathologies peuvent apparaître : maladies inflammatoires de l’intestin, diabète, obésité, arthrite, cancers et même anxiété ou dépression.
Bactéries bienfaitrices
Depuis quand étudions-nous les bactéries microbiotiques ? « Au départ, elles étaient seulement considérées comme des menaces, raconte Gérard Eberl, immunologiste à l’Institut Pasteur. Jusqu’à ce que le Russe Elie Metchnikoff montre, à partir de 1903, qu’elles pouvaient nous être bénéfiques. » La recherche s’est poursuivie à l’Institut Pasteur (années 1920), a progressé au fil des avancées technologiques. Microscope, séquençage du génome des bactéries… La conclusion tombe : le microbiote peut être vecteur de bienfaits pour notre organisme !
Son équipe souhaite éclaircir la manière dont les bactéries travaillent avec le système immunitaire, en mettant en place des collaborations pluridisciplinaires. Avec la neurochirurgie, par exemple, « car les liens sont forts entre microbiote, système immunitaire et cerveau ».
Cerveau et intestin, très intimes
Neurobiologiste à l’Institut Pasteur, Gabriel Lepousez collabore avec des médecins psychiatres et gastroentérologues. « Ensemble, nous avions constaté qu’il y avait une comorbidité très forte entre problèmes intestinaux et troubles mentaux. Nous avons donc cherché à comprendre comment cerveau et intestin communiquent… » Réponse : via des messages chimiques (certains produits par le microbiote intestinal) et nerveux, l’intestin ayant – comme le cerveau, mais en quantité moindre – des cellules nerveuses.
Lorsque le microbiote est altéré, cela peut perturber la production d’hormones (impactant, par exemple, la sérotonine) et conduire à une dépression. Mais les impacts peuvent aussi concerner la mémoire, l’apprentissage, le comportement alimentaire, les humeurs et les émotions… Cette moisson de données récentes ouvre des nouvelles voies de diagnostic ou de traitements, basées sur les bactéries.
Foie et addiction
Anne-Marie Cassard, endocrinologue, directrice de recherche à l’Inserm et Paris-Saclay, étudie les effets du microbiote sur la dépendance à l’alcool et la maladie alcoolique du foie (MAF). Elle implique des patients dans ses recherches, et a démontré l’implication de la barrière intestinale : « On sait que lorsqu’une personne a la maladie alcoolique du foie, son microbiote est altéré. »
Foie et microbiote entretiennent donc des connections étroites… L’information est utile pour repenser la prise en charge des patients. Une expérimentation a montré qu’un apport de fibres par l’alimentation favorise la production de certains acides aminés qui aideront à renforcer l’immunité de la barrière intestinale ainsi que le foie. Autre découverte : l’impact sur la dépendance. « Ceux qui deviennent addicts à l’alcool ont un microbiote altéré, avant même l’apparition de l’addiction à l’alcool. Nous voulons donc savoir quels métabolites (composés chimiques) sont en jeu, afin de définir des interventions alimentaires et médicamenteuses ciblées. »
Donneurs de microbiote ?
L’explosion préoccupante des maladies chroniques depuis les années 1950 est l’une des grandes préoccupations de Joël Doré, directeur de recherche à l’Inrae, AgroParisTech et Paris-Saclay. Pionnier de « l’écologie microbienne », qui a découvert les liens entre le microbiote intestinal et de nombreuses maladies, il souligne que « l’implication du microbiote est de plus en plus démontrée pour les maladies neurodégénératives et neuropsychiatriques. Elle est prouvée pour certaines formes d’autisme, de dépression et la schlérose en plaques ».
Alors… si on donnait des microbiotes sains aux malades ? C’est une piste sérieuse : « Le potentiel thérapeutique du transfert de microbiote fécal est énorme. » Il s’agit de prélever les selles d’un individu sain pour les transférer à un individu malade. Ce traitement est déjà pratiqué, avec succès, chez les patients atteints du Chlostridium difficile (troubles intestinaux et fortes diarrhées). Côté diagnostic, « l’analyse de microbiote fécal sera sûrement bientôt courante, au même titre que le bilan sanguin ». Avant cela, des standards techniques officiels devront être définis et un grand nombre de données cliniques devront être considérées… Des équipes y travaillent déjà (LeFrenchGut).