Une initiative internationale regroupant des chercheurs de l’Université Californienne de San Francisco (UCSF), des Gladstone Institutes, de l’Icahn School of Medicine at Mount Sinai et de l’Institut Pasteur révèle des composés prometteurs pour des essais cliniques afin de lutter contre le Covid-19. L’étude, menée par le Dr Nevan Krogan (directeur de l’UCSF Quantitative Biosciences Institute), montre que certains médicaments pourraient combattre le Covid-19 alors qu’un autre en favorise l’infectivité. Ces résultats sont publiés dans la revue Nature en fast-track, le 30 avril à 15h00.
Une équipe internationale composée de plus de 120 scientifiques a détaillé l’impact de 75 composés pharmaceutiques en vente libre, sur ordonnance et en phase de développement sur le SARS-CoV-2, le virus à l’origine du Covid-19. Plusieurs de ces agents se sont révélés prometteurs dans le blocage de la réplication du SARS-CoV-2. L’un des composés étudiés, un ingrédient commun à des antitussifs en vente libre, semble, lui, capable de favoriser la croissance du virus.
L’étude collaborative de ces chercheurs, publiée dans la revue Nature le 30 avril, a été dirigée par le Dr Nevan Krogan, directeur du Quantitative Biosciences Institute de l’université de Californie à San Francisco (UCSF), et chercheur principal aux Gladstone Institutes. Aux premiers signes d’apparition de la pandémie émergente mondiale en janvier, le Dr Nevan Krogan a constitué, en quelques semaines à peine, une équipe d’intervention rapide composée de nombreux chercheurs et praticiens de l’UCSF, des Gladstone Institutes, de l’Icahn School of Medicine du Mount Sinai (à New York) et de l’Institut Pasteur afin d’identifier des traitements potentiels du Covid-19.
Au lieu de se focaliser sur une approche antivirale de blocage du SARS-CoV-2, ces chercheurs ont en premier lieu combiné des techniques biologiques et computationnelles afin de créer un catalogue de plus de 300 protéines humaines dont le virus a besoin pour infecter les cellules, et se reproduire. Ils se sont ensuite penchés sur l’identification des médicaments déjà commercialisés ou en cours de développement susceptibles d’être dirigés vers ces protéines humaines pour traiter une infection par le SARS-CoV-2.
Les chercheurs soulignent que bien que les médicaments identifiés dans l’étude soient prometteurs, ils n’ont été testés contre le virus que dans le cadre d’expériences en laboratoire. Par conséquent, ils ne préconisent à personne de les prescrire et/ou de les utiliser avant que leur innocuité et leur efficacité n’aient été confirmées par des essais cliniques.
Certains médicaments repositionnés semblent prometteurs dans la lutte contre le Covid-19, mais il est nécessaire d’approfondir les recherches
Les chercheurs se sont appuyés sur une liste de médicaments qui interagissent avec les protéines identifiées pour mener des études à l’aide de la chimie biologique et d’approches computationnelles. Ces études ont fait apparaître deux catégories de médicaments se révélant comme des agents prometteurs dans la réduction efficace de l’infectiosité du virus SARS-CoV-2 : d’une part les inhibiteurs de la traduction des protéines (dont la zotatifine et la ternatine-4/plitidepsine) et d’autre part des médicaments qui modulent des protéines intracelllulaires, appelées récepteurs Sigma-1 et Sigma-2 : progestérone, PB28, PD-144418, hydroxychloroquine ou encore les antipsychotiques halopéridol et clopérazine, la siramésine, un antidépresseur et anxiolytique, ainsi que les antihistaminiques clémastine et clopérastine.
Parmi les inhibiteurs de la traduction des protéines, l’effet antiviral le plus important a été observé in vitro avec la zotatitfine, actuellement en essais cliniques contre le cancer, et la ternatine-4/plitidepsine, approuvée par la FDA dans le traitement du myélome multiple.
Dans la catégorie des modulateurs Sigma-1 et Sigma-2, l’antipsychotique halopéridol, administré dans le traitement de la schizophrénie, a montré une activité antivirale contre le SARS-CoV-2, contrairement à l’olanzapine, indiquée en cas de schizophrénie et de trouble bipolaire, dont l’effet mesurable sur le virus s’est avéré nul. Deux puissants antihistaminiques, la clémastine et la clopérastine, ont révélé une activité antivirale, à l’instar du PB28, et, dans une moindre mesure, de l’hormone féminine progestérone.
« La recherche thérapeutique pour lutter contre le Covid-19 se concentre généralement sur l’aspect antiviral et vaccinal. Nous avons adopté une approche différente, ciblant les protéines nécessaires à l’infection virale d’une cellule humaine », déclare Nevan Krogan. « Notre travail s’appuie sur des molécules déjà approuvées ou en cours de développement et contribuera à orienter les essais cliniques sur les agents les plus prometteurs face au Covid-19. Nous poursuivons également notre quête d’autres agents ciblant les protéines humaines utilisées par SARS-CoV-2 lors de l’infection, afin d’étoffer l’arsenal de lutte contre ce virus », ajoute-t-il.
« Ce sont les toutes premières données en notre possession, mais nous sommes particulièrement confiants quant aux résultats car des travaux distincts menés au Mount Sinai et à l’Institut Pasteur ont abouti à des observations similaires sur l’activité antivirale de ces médicaments. Une telle cadence et une telle ampleur de recherche auraient été impossibles sans la mobilisation de nombreux scientifiques de plusieurs institutions, chacun apportant des compétences spécifiques mais complémentaires pour atteindre un objectif commun », indique le Dr Adolfo García-Sastre, professeur de médecine dans le département de microbiologie et directeur du Global Health and Emerging Pathogens Institute de l’Icahn School of Medicine at Mount Sinai, qui a dirigé les études virologiques en collaboration avec le Dr Marco Vignuzzi.
« Cette étude est unique en son genre car non seulement elle révèle de nouvelles stratégies antivirales potentielles à explorer mais elle approfondit également nos connaissances fondamentales sur l’interaction entre le virus et l’hôte », souligne ainsi Marco Vignuzzi, responsable de l’unité Populations virales et pathogénèse de l’Institut Pasteur à Paris.
PB28 : une activité antivirale nettement supérieure à celle de l’hydroxychloroquine
Parmi les médicaments ciblant les récepteurs Sigma-1 et Sigma-2, il a été observé, lors d’expériences en laboratoire, que le composé préclinique appelé PB28 présente une activité antivirale environ 20 fois supérieure à celle de l’hydroxychloroquine, dont la possible efficacité thérapeutique contre le Covid-19 fait l’objet de multiples essais cliniques.
Une théorie aux effets secondaires cardiaques de l’hydroxychloroquine
La nouvelle étude apporte une possible explication aux lourds effets secondaires cardiaques observés au cours de certaines études cliniques interrompues sur l’hydroxychloroquine. Les chercheurs ont, en effet, démontré qu’en plus de cibler les récepteurs Sigma-1 et Sigma-2, l’hydroxychloroquine se lie à une protéine appelée hERG, essentielle à la régulation de l’activité électrique du cœur. Ces résultats, obtenus en laboratoire, pourraient expliquer les risques associés à l’utilisation possible de cet agent pour traiter le Covid‑19.
Attention au dextrométhorphane
Par ailleurs, les expériences en laboratoire ont révélé que le dextrométhorphane, un antitussif agissant sur les récepteurs Sigma-1, favorisait l’infection virale. Les chercheurs appellent donc à la prudence quant à son utilisation, qui mérite, selon eux, une étude plus approfondie dans le cadre du Covid-19.
Prochaine étape : approfondir les travaux de recherche et mener des essais cliniques contre Covid-19
Le Dr Krogan précise que la prochaine étape de l’étude consiste à creuser davantage l’intérêt thérapeutique des composés les plus prometteurs afin de les mener le plus rapidement possible aux essais cliniques : « Nous collaborons avec plusieurs sociétés pharmaceutiques et entreprises de biotechnologie afin d’évaluer la sécurité et l’efficacité antivirale des candidats médicaments ayant été identifiés comme prometteurs lors de nos expériences en laboratoire. Parallèlement, nous exhortons à une utilisation prudente du dextrométhorphane pendant la pandémie dans la mesure où nos recherches montrent qu’en laboratoire, il favorise l’infection par le Covid-19 » explique-t-il.
Et Kevan Shokat d’ajouter : « Par notre collaboration, nous avons réussi à cartographier les protéines du corps humain associées à l’infection par le SARS-CoV-2, ce qui a éclairé l’identification rapide de médicaments d’intérêt. La découverte des protéines ciblées par ce coronavirus a mis au jour des composés de différentes classes de médicaments qui, sinon, n’auraient peut-être pas été évidents à étudier dans un cadre viral ».
Contexte de cette approche scientifique innovante
Les chercheurs ont amené des cellules humaines en culture à produire une à une les protéines du coronavirus. Les protéines virales ont été utilisées pour capturer les protéines humaines avec lesquelles elles interagissent, probablement comme ce qui se passe lors d’une infection classique.
Après avoir identifié ces protéines et décelé les petites molécules connues pour les lier (grâce à des travaux scientifiques antérieurs), les scientifiques ont répertorié 69 molécules, jugées les plus prometteuses en raison de leur spécificité de ciblage.
L’équipe a ensuite évalué l’impact dans des cellules humaines infectées par le virus vivant de 47 de ces composés, ainsi que 28 autres composés réputés pour agir sur deux cibles importantes et priorisées par d’autres méthodes. Des tests permettant de mesurer de façon fiable et quantitative l’inhibition de la replication virale par les différentes molécules ont été mis en oeuvre dans un environnement de haute sécurité.
Les résultats obtenus permettent non seulement aux chercheurs d’identifier les candidats médicaments les plus prometteurs, afin de lancer de nouveaux essais cliniques, mais offrent également un éclairage sur les processus cellulaires concernés par l’infection par SARS-CoV-2. Les scientifiques peuvent utiliser ces informations pour comprendre ou anticiper l’effet de traitements expérimentaux déjà testés en clinique. De plus, cette nouvelle approche en matière de découverte de médicaments peut être transposée à différents virus, ainsi qu’à de nombreuses autres maladies non-virales.
Source
A SARS-CoV-2 protein interaction map reveals targets for drug repurposing, Nature, 30 avril 2020
David E. Gordon1,2,3,4,35, Gwendolyn M. Jang1,2,3,4,35, Mehdi Bouhaddou1,2,3,4,35, Jiewei Xu1,2,3,4,35, Kirsten Obernier1,2,3,4,35, Kris M. White5,6,35, Matthew J. O’Meara7,35, Veronica V. Rezelj8,35, Jeffrey Z. Guo1,2,3,4, Danielle L. Swaney1,2,3,4, Tia A. Tummino1,2,9, Ruth Huettenhain1,2,3,4, Robyn M. Kaake1,2,3,4, Alicia L. Richards1,2,3,4, Beril Tutuncuoglu1,2,3,4, Helene Foussard1,2,3,4, Jyoti Batra1,2,3,4, Kelsey Haas1,2,3,4, Maya Modak1,2,3,4, Minkyu Kim1,2,3,4, Paige Haas1,2,3,4, Benjamin J. Polacco1,2,3,4, Hannes Braberg1,2,3,4, Jacqueline M. Fabius1,2,3,4, Manon Eckhardt1,2,3,4, Margaret Soucheray1,2,3,4, Melanie J. Bennett1,2,3,4, Merve Cakir1,2,3,4, Michael J. McGregor1,2,3,4, Qiongyu Li1,2,3,4, Bjoern Meyer8, Ferdinand Roesch8, Thomas Vallet8, Alice Mac Kain8, Lisa Miorin5,6, Elena Moreno5,6, Zun Zar Chi Naing1,2,3,4, Yuan Zhou1,2,3,4, Shiming Peng1,2,9, Ying Shi1,2,4,11, Ziyang Zhang1,2,4,11, Wenqi Shen1,2,4,11, Ilsa T. Kirby1,2,4,11, James E. Melnyk1,2,4,11, John S. Chorba1,2,4,11, Kevin Lou1,2,4,11, Shizhong A. Dai1,2,4,11, Inigo Barrio-Hernandez12, Danish Memon12, Claudia Hernandez-Armenta12, Jiankun Lyu1,2,9, Christopher J. P. Mathy1,2,13,14, Tina Perica1,2,13, Kala B. Pilla1,2,13, Sai J. Ganesan1,2,13, Daniel J. Saltzberg1,2,13, Ramachandran Rakesh1,2,13, Xi Liu1,2,9, Sara B. Rosenthal15, Lorenzo Calviello1,16, Srivats Venkataramanan1,16, Jose Liboy-Lugo1,16, Yizhu Lin1,16, Xi-Ping Huang17, YongFeng Liu17, Stephanie A. Wankowicz1,2,11,18, Markus Bohn1,2,9, Maliheh Safari1,2,19, Fatima S. Ugur1,2,4,9, Cassandra Koh8, Nastaran Sadat Savar8, Quang Dinh Tran8, Djoshkun Shengjuler8, Sabrina J Fletcher8, Michael C. O’Neal20, Yiming Cai20, Jason C. J. Chang20, David J. Broadhurst20, Saker Klippsten20, Phillip P. Sharp4, Nicole A. Wenzell1,2,4, Duygu Kuzuoglu1,2,4,21,22, Hao-Yuan Wang1,2,4, Raphael Trenker1,2,23, Janet M. Young24, Devin A. Cavero3,26, Joseph Hiatt3,25,26, Theodore L. Roth3,25,26, Ujjwal Rathore3,26, Advait Subramanian1,2,26, Julia Noack1,2,26, Mathieu Hubert10, Robert M. Stroud1,2,19, Alan D. Frankel1,2,19, Oren S. Rosenberg1,2,19,27, Kliment A Verba1,2,9, David A. Agard1,2,19, Melanie Ott1,2,3,27, Michael Emerman28, Natalia Jura1,2,4,23, Mark von Zastrow1,2,4,29, Eric Verdin1,27,30, Alan Ashworth1,2,21, Olivier Schwartz10, Christophe d’Enfert31, Shaeri Mukherjee1,2,26, Matt Jacobson1,2,9, Harmit S. Malik24, Danica G. Fujimori1,2,4,9, Trey Ideker1,32, Charles S. Craik1,2,9,21, Stephen N. Floor1,16,21, James S. Fraser1,2,13, John D. Gross1,2,9, Andrej Sali1,2,9,13, Bryan L. Roth17, Davide Ruggero1,2,4,21,22, Jack Taunton1,2,4, Tanja Kortemme1,2,13,14, Pedro Beltrao1,12, Marco Vignuzzi8, Adolfo García-Sastre5,6,33,34, Kevan M. Shokat1,2,4,11, Brian K. Shoichet1,2,9 & Nevan J. Krogan1,2,3,4,5
1 QBI COVID-19 Research Group (QCRG), San Francisco, CA, 94158, USA.
2 Quantitative Biosciences Institute (QBI), University of California San Francisco, San Francisco, CA, 94158, USA.
3 J. David Gladstone Institutes, San Francisco, CA, 94158, USA.
4 Department of Cellular and Molecular Pharmacology, University of California San Francisco, San Francisco, CA, 94158, USA.
5 Department of Microbiology, Icahn School of Medicine at Mount Sinai, New York, NY, 10029, USA.
6 Global Health and Emerging Pathogens Institute, Icahn School of Medicine at Mount Sinai, New York, NY, 10029, USA.
7 Department of Computational Medicine and Bioinformatics, University of Michigan, Ann Arbor, MI, 48109, USA.
8 Viral Populations and Pathogenesis Unit, CNRS UMR 3569, Institut Pasteur, 75724, Paris, cedex 15, France
9 Department of Pharmaceutical Chemistry, University of California, San Francisco, CA, 94158, USA.
10 Virus and Immunity Unit, Institut Pasteur, 75724, Paris, cedex 15, France.
11 Howard Hughes Medical Institute, San Francisco, CA, USA.
12 European Molecular Biology Laboratory (EMBL), European Bioinformatics Institute, Wellcome Genome Campus, Hinxton, Cambridge, UK.
13 Department of Bioengineering and Therapeutic Sciences, University of California, San Francisco, CA, 94158, USA.
14 The UC Berkeley-UCSF Graduate Program in Bioengineering, University of California San Francisco, San Francisco, CA, USA.
15 Center for Computational Biology and Bioinformatics, Department of Medicine, University of California San Diego, San Diego, CA, 92093, USA.
16 Department of Cell and Tissue Biology, University of California, San Francisco, CA, 94143, USA.
17 Department of Pharmacology, University of North Carolina at Chapel Hill School of Medicine, Chapel Hill, North Carolina, 27599-7365, USA.
18 Biophysics Graduate Program, University of California, San Francisco, CA, USA.
19 Department of Biochemistry and Biophysics, University of California San Francisco, San Francisco, CA, 94158, USA.
20 Zoic Labs, Culver City, CA, 90232, USA.
21 Helen Diller Family Comprehensive Cancer Center, University of California, San Francisco, CA, 94158, USA.
22 Department of Urology, University of California, San Francisco, San Francisco, CA, 94143, USA.
23 Cardiovascular Research Institute, University of California San Francisco, San Francisco, CA, 94158, USA.
24 Division of Basic Sciences, Fred Hutchinson Cancer Research Center, Seattle, WA, 98109, USA.
25 Medical Scientist Training Program, University of California, San Francisco, CA, 94143, USA.
26 George William Hooper Foundation, Department of Microbiology and Immunology, University of California San Francisco, San Francisco, CA, 94143, USA.
27 Department of Medicine, University of California San Francisco, San Francisco, CA, USA.
28 Division of Human Biology, Fred Hutchinson Cancer Research Center, Seattle, WA, 98103, USA.
29 Department of Psychiatry, University of California San Francisco, San Francisco, CA, 94158, USA.
30 Buck Institute for Research on Aging, Novato, CA, 94945, USA.
31 Direction Scientifique, Institut Pasteur, 75724, Paris, cedex 15, France.
32 Division of Genetics, Department of Medicine, University of California San Diego, San Diego, CA, 92093, USA.
33 Department of Medicine, Division of Infectious Diseases, Icahn School of Medicine at Mount Sinai, New York, NY, 10029, USA.
34 The Tisch Cancer Institute, Icahn School of Medicine at Mount Sinai, New York, NY, 10029, USA.